Les guifettes nicheuses en France en 2024
Par Jacques Trotignon

Voici les résultats des dénombrements des trois espèces de guifettes nicheuses en France en 2024. La Guifette moustac est la seule espèce dont les effectifs se maitiennent à un niveau élevé, ceux de la Guifette noire progressant légèrement, tandis que, comme en 2023, un seul couple de Guifettes leucoptères s’est reproduit en Loire-Atlantique.


Guifette moustac Chlidonias hybrida
Bien que l’effectif national soit inférieur de quelque 300 couples par rapport à celui de 2023, l’année 2024 reste satisfaisante pour la Guifette moustac en France, avec une population comprise entre 3202 et 3254 couples nicheurs.

En 2024, la Brière (Loire-Atlantique) est la région qui a accueilli le plus grand nombre de couples (1360-1370, soit 42% de l’effectif national) répartis en deux colonies, l’une comptant environ 800 couples installés sur des jussies parmi des centaines de Mouettes rieuses, près du bourg de Saint-Joachim, et l’autre de 560-570 couples, nichant également sur des massifs de jussie, près du port de la Chaussée-Neuve, à Saint-André-des-Eaux. Dans les deux cas, la productivité a été bonne, avec plus ou moins 2 jeunes à l’envol par couple. Les écrevisses de Louisiane constituent une part importante de l’alimentation des poussins, dont les premiers ont pris leur envol à la fin du mois de juin.
Le lac de Grand-Lieu (Loire-Atlantique) n’a accueilli que 581 couples (18% de l’effectif national) distribués en plusieurs « villages », car la Brière voisine s’est montrée nettement plus attractive cette année. Le nombre de jeunes à l’envol a été faible (une centaine), la plupart des nichées ayant échoué avant l’éclosion, selon toute vraisemblance en raison du niveau d’eau particulièrement élevé du lac en début de saison et d’une pluviométrie supérieure à la normale tout au long de l’année. Dans un tel contexte, les nénuphars se sont développés tardivement et difficilement, conduisant les guifettes les plus précoces à déserter le lac, pour se reporter vraisemblablement en Brière. Les oiseaux qui se sont installés en mai-juin disposaient donc de massifs moins propices au support des nids, qui se délitaient rapidement après les éclosions. À cette moindre productivité des nénuphars, indispensables pour l’installation et le renforcement des nids, s’ajoutent la destruction des tiges et des feuilles par les écrevisses de Louisiane, et la quasi-disparition de tous les autres végétaux aquatiques – châtaigne d’eau, scirpe lacustre, limnanthème – qu’utilisent les guifettes en complément, et ce pour des raisons similaires. En bref, la situation n’est guère encourageante.

Le constat est nettement plus positif en Sologne, qui, pour la première fois depuis que nous réalisons ces synthèses nationales (23 ans), a supplanté la Brenne en termes d’effectifs : 512 couples (16% du total national) répartis dans 8 colonies. Ici, les pluies d’hiver ont donc été plutôt bénéfiques pour l’espèce, dont la population solognote n’avait jamais atteint les 500 couples ! Les étangs occupés par l’espèce, en nombre somme toute assez faible, étaient majoritairement garnis de massifs de baldingères, de jonchaies, de nymphéas ou de, désormais incontournables, jussies. La production de jeunes semble avoir été très bonne. Relevons enfin qu’une femelle baguée poussin en Brenne en 2020 a été vue nicheuse le 16 juillet parmi 95 couples sur l’étang du Gué, à Chémery (Loir-et-Cher).
La Brenne (Indre) a, pour sa part, connu une mauvaise reproduction en 2024, avec seulement 480 couples (15% de l’effectif national) disséminés sur 13 étangs – parmi des nymphéas (97%), des baldingères (17%), des jussies ou une végétation consécutive aux assecs (6%) et, pour la première fois, parmi des iris (4%). Précisons que les comptages par drone ont permis d’illustrer les sous-estimations qui peuvent résulter de comptages effectués depuis le sol ; ainsi, sur un étang où 59 nids étaient dénombrés avec les méthodes habituelles, le drone a révélé que la colonie en comptait en réalité 78 ! Concernant le faible effectif noté en 2024, l’une des explications avancées tient aux mauvaises conditions de reproduction observées en 2021 (fortes inondations) et 2022 (fortes chaleurs et sécheresse), qui se sont traduites par un nombre de jeunes à l’envol particulièrement faible… or, les guifettes ne se reproduisant qu’à l’âge de 2 ou 3 ans, il est possible que les oiseaux revenus en Brenne en 2024 ait été moins nombreux que d’ordinaire.
En Dombes (Ain), l’effectif nicheur est inférieur à celui de 2023 (262 couples), mais se maintient dans le haut de la fourchette par rapport aux chiffres des six dernières années. Il totalise 175-215 couples (en moyenne 6% du total national), répartis sur 5 étangs. La colonie la plus importante se trouvait sur l’étang du Grand Marais, le plus grand de la Dombes : 122 couples (près des deux-tiers) nichaient sur des massifs de nénuphars jaunes et de nymphéas, où la productivité est historiquement la meilleure, et les 73 autres couples avaient opté, faute de végétation flottante, pour des massifs de baldingères ou de joncs diffus, purs ou mêlés. En Dombes comme dans les autres régions d’étangs, la raréfaction des nénuphars conduit les guifettes à se reporter sur les jonchaies, moins propices à la nidification (M. Benmergui, comm. pers.).
Dans le Forez (Loire), 28-30 couples ont niché sur 2 étangs et le nombre de jeunes produits est estimé entre 60 et 63.
Dans la Marne, l’étang des Landres a accueilli une colonie d’au moins 40 couples, installés sur un vaste massif de nymphéas.
Enfin, en Indre-et-Loire, une seule colonie de 26 couples a été localisée sur un étang du Lochois, dans un massif de nénuphars jaunes, où environ 65 jeunes se sont envolés.


Guifette noire Chlidonias niger
L’état de la population nicheuse de la Guifette noire en France demeure extrêmement préoccupant, même si celle-ci montre une légère amélioration en 2024, avec un total de 84-85 couples, soit une dizaine de couples de plus qu’en 2023.

La Brière (Loire-Atlantique) accueille toujours l’effectif principal, avec 60 couples (70 % du total national), hélas regroupés en une seule et unique colonie établie sur un massif de jussies présentant quelques « clairières » éparses d’Azolle fausse fougère, ce qui rend la population locale extrêmement vulnérable. À noter que les jeunes (en moyenne 2 par couple), qui volaient parfaitement le 27 juin, étaient nourris à 90 % d’écrevisses de Louisiane, mais aussi de libellules et de papillons capturés sur les fleurs de jussie, qui attirent des myriades d’insectes.
Dans le Marais charentais (Charente-Maritime), l’effectif reste voisin de celui de 2023, avec 15 couples (18% du total) répartis en deux colonies, qui sont établies sur des propriétés de la LPO (marais de Rochefort). La zone de nidification est constituée de massifs de scirpes des marais qui, bien inondés, ont évité les risques de prédation terrestre, tandis que dans le même temps, la météo clémente du printemps a permis une bonne reproduction. Dans le marais de Fouras, où 41 radeaux (grillages plastiques recouverts d’un lit de roseaux secs) avaient été disposés dans deux dépressions, 11 couples ont produit 12 jeunes (envol à partir du 1er juillet) ; le dernier départ et l’abandon de la colonie ont été notés le 5 août. Dans le marais de Voutron, 4 couples ont élevé 10 jeunes (soit 2,5 par couple), qui se sont envolés à compter du 30 juin, la colonie ayant été désertée le 6 ou le 7 juillet, soit un mois plus tard que celle de Fouras, bien que l’éclosion des premiers poussins ait été notée dans les deux cas autour du 10 juin ; cependant, l’éclosion du dernier poussin a eu lieu un mois plus tard à Voutron (9 juillet).

Dans le Marais poitevin, 9 ou 10 couples (12% du total national) ont niché dans une prairie bien inondée grâce aux fortes pluies hivernales et printanières, dans la réserve du marais de la Vacherie (Vendée). Le site de nidification était constitué là encore de massifs de scirpes des marais ; aucun radeau n’a été disposé compte tenu des bons niveaux d’eau et de l’abondance de la végétation, et seules des clôtures temporaires ont été disposées pour prévenir toute intrusion du bétail. Au final, au moins 18-20 jeunes se sont envolés, le premier le 24 juin et le dernier un mois plus tard. Notons qu’une telle productivité (1,9 jeune par couple) constitue un record pour le Marais poitevin. Elle est certainement à mettre en relation avec l’abondance des écrevisses de Louisiane, qui représentent une excellente source de protéines pour les poussins (les autres proies consommées ici sont des poissons et divers insectes).
Guifette leucoptère Chlidonias leucopterus
En 2024, un couple a très probablement niché en Brière (Loire-Atlantique) au sein d’une colonie de Guifettes moustacs, au lieu-dit du Népy-Lony, mais il n’y a pas eu d’observation de nid ou de poussins. Le premier contact a été obtenu le 12 mai et les derniers les 25 et 26 juin. Au lac de Grand-Lieu (Loire-Atlantique), aucun indice probant de reproduction de l’espèce n’a été enregistré en 2024, 3 oiseaux ayant juste séjourné du 17 au 25 avril, sans suite.


d’eau et de scirpes des marais (© Gérard Bertiau)

guifettes noires en Marais poitevin (© Victor Turpaud-Fizzala)

quelques étangs… parmi 4200 au total ! (© Jacques Trotignon)

à se reporter sur les jonchaies, moins propices (© Maurice Benmergui)
Liste des observateurs : Brenne – coord. L. Beau (RNN Chérine) ; observateurs : D. et L. Baligant, J.M. Baron, L. Beau, B. Beauvais-Douilly, N. Beraud, H. Bobin, H. Borde, S. Boucher, C. Boué, Y.M. Butin, T. Chatton, F. Clément, R. Cleva, A. da Silva, G. de La Faire, J. Deberge, T. Dejust, M. Dekeyser, R. Desplaces, P. Duchêne, T. Fernez, J.E. Frontera, N. Gauthier, T. Girard, Q. Giraud, M. Helleman, D. Heloin, P. Ingremeau, S. Jacobs, G. Jardin, E. Jourdan, A. Larousse, T. Ligout, S. Lopez, B. Marie, V. Marsaudon, T. Matignon, C. Mazé, D. Metral-Charvet, T. Michel, A. Millot, A. Moreau, N. Moutardier, L. Pascal, F. Pelsy, J.M. Pilorget, K. Plantureux, F. Telefunko, F. Tellier, J. Trotignon, N. van Ingen, I. Varenard, H. Viger, D. Vioux et T. Williams. Brière – coord., D. Montfort et A. Troffigué ; observateurs : D. Barrier et J.-L. Dourin. Dombes – coord. M. Benmergui ; observateurs : M. Benmergui et L. Noally (LPO Ain). Forez – coord., E. Véricel (LPO Loire) ; observateurs : S. Arnaud, C. Bérinchy, B. Couronne, P.-A. Crochet, A. Faure, K. Guille, N. Kieffer, O. Morel, B. Raffin, J. Rivoire et E. Véricel. Lac de Grand-Lieu – coord. S. Reeber (SNPN). Indre-et-Loire – coord. C. Delaleu (LPO Centre-Val de Loire). Marais charentais – coord. C. Egreteau et C. Goulevant (LPO France). Marais poitevin – coord. V. Turpaud-Fizzala (LPO France) ; observateurs : Y. Meuraillon. Marne – coord. B. Théveny (LPO Champagne-Ardenne). Sologne – coord. F. Pelsy (Sologne Nature Environnement) ;observateurs : M. Mabilleau, C. Michel, E. et M. Sempé, F. Pelsy.
Contact : Jacques Trotignon
Citation recommandée : Trotignon J. (2025). État des populations de guifettes nicheuses en France en 2024. Post-Ornithos (marcduquet.com) 2 : e2025.04.25.
