OrnithoScience : suivi de la migration nocturne en France en 2024

Un programme de sciences participatives baptisé Vol de Nuit, collectant des enregistrements de cris de vol nocturnes d’oiseaux en migration ou en déplacement local effectués par des ornithos confirmés aux six coins de la France, a été initié en janvier 2024 par la LPO, le MNHN, l’OFB, BioPhonia et le site Trektellen. Il repose sur des enregistrements en continu du crépuscule civil jusqu’à l’aube civile, suivis de la détection manuelle des cris de vol nocturnes, du comptage des cris et de l’estimation du nombre minimal d’individus concernés, les données étant finalement saisies sur Trektellen. Les principaux résultats de la première année de suivi viennent d’être publiés (Coiffard 2025a) et sont résumés ici.

Espèces contactées en 2024
Au total, 146 espèces ont été enregistrées en migration nocturne en France en 2024 par les 106 participants au programme, les plus fréquemment contactées étant, par ordre décroissant, la Grive musicienne, le Héron cendré, la Gallinule poule d’eau, la Foulque macroule, le Râle d’eau, le Bihoreau gris, la Mouette rieuse, le Canard colvert, le Merle noir et le Vanneau huppé.
Parmi les oiseaux remarquables, le Blongios nain a été contacté 259 fois, le Butor étoilé 115 et le Guignard d’Eurasie et la Marouette ponctuée 38 fois chacun.
Au rayon des espèces plus rares repérées durant leur vol nocturne au-dessus de la France figurent la Marouette de Baillon (14 contacts), l’Oie rieuse (8), la Sterne caspienne (6), la Sterne hansel (3), l’Oie de toundra (2), le Labbe à longue queue (2), le Garrot à œil d’or (2), la Talève sultane (2), le Bécasseau minute (1), l’Accenteur alpin (1) et le Pipit de Richard (1). 
De nombreux Grosbecs casse-noyaux, le fringille le plus susceptible d’être détecté en migration nocturne, ont été contactés au cours de l’automne 2024, avec un pic centré sur la fin novembre, qui correspond à un afflux notable de l’espèce en France à cette période.

Grosbec casse-noyaux, France, janvier 2024 (© Maxime Légaré-Vézina)

Trois nuits mémorables
Certains ornithos ont eu la chance d’enregistrer des passages exceptionnels, tant en nombre d’espèces que d’individus. En voici trois exemples :

• dans la nuit du 2 au 3 novembre 2024, à Sangatte (Nord), durant les 13 h et 15 min de son comptage, Maxime Bodhuin a enregistré 36 espèces différentes, la Grive mauvis étant l’espèce dominante, avec en moyenne plus de 10 cris par minute sur l’ensemble de la nuit. L’observateur fait état d’un flux continu d’oiseaux sur l’intégralité de la période d’enregistrement, notamment d’un passage record pour la Grive mauvis (8228 individus), la Grive litorne (101), le Bécasseau variable (46), le Courlis cendré (20) et la Bécassine des marais (12). À noter aussi le passage de 5 Merles à plastron, 6 Grosbecs casse-noyaux, 6 Pluviers dorés, 2 Oies de toundra et 5 Oies cendrées. La liste complète des espèces contactées est disponible sur Trektellen ;

• au cours de cette même nuit du 2 au 3 novembre 2024, à Malo-les-Bains (Nord), durant les 13 h et 15 min d’enregistrement, Julien Piette a quant à lui dénombré 25 espèces, parmi lesquelles quelque 16000 Grives mauvis, 1275 Grives musiciennes, 1003 Merles noirs, ainsi qu’une Oie de toundra. La liste complète des espèces qu’il a enregistrées peut être consultée sur Trektellen ;

• dans la nuit du 22 au 23 octobre 2024, à Pelous (Pyrénées-Atlantiques), Sébastien Arriubergé a enregistré 19 espèces en 12 h et 20 min, parmi lesquelles 1128 Grues cendrées et 1902 Grives musiciennes, mais aussi quelques ardéidés – 52 Bihoreaux gris, 6 Aigrettes garzettes, 5 Hérons cendrés et 1 Héron pourpré – ainsi que 4 Œdicnèmes criards et 1 Guignard d’Eurasie. Voir la liste complète des espèces sur Trektellen.

Grive mauvis, Suède, janvier 2020 (© Ivan Sjögren)

Enquêtes ciblées sur les Turdus et le Bruant ortolan
Deux enquêtes spécifiques ont été faites en 2024, l’une ciblant la migration prénuptiale des Grives mauvis, musicienne et litorne et du Merle noir, l’autre tentant de mettre en évidence les voies de passage postnuptiales du Bruant ortolan. Ci-dessous, un résumé des résultats qu’elles ont produits.

Turdus – L’enquête migration des grives et du merle s’est déroulée du 15 janvier au 15 avril, au rythme de 3 à 7 nuits complètes d’enregistrement par semaine sur 57 sites (Coiffard & Sallé 2024). Au total, 27397 Grives mauvis et 12939 Grives musiciennes ont été contactées. Un fort passage nocturne de Grives mauvis a été noté des derniers jours de février à la fin de la deuxième décade de mars, avec un pic très marqué au cours des nuits du 10 au 13 mars, notamment en région parisienne et en Champagne. Le passage de la Grive musicienne a été un peu plus tardif, avec un pic centré sur les nuits du 12 au 18 mars. La répartition horaire des cris de ces deux espèces fait apparaître un pic marqué en fin de nuit, qui correspond de toute évidence au moment où les oiseaux perdent de l’altitude avant de se poser, leurs cris devenant alors plus détectables par les enregistreurs.
Les auteurs soulignent que les résultats obtenus par cette méthode sont cohérents avec les dates présentées dans l’Atlas des Oiseaux Migrateurs de France (Dupuy & Sallé 2022), un léger décalage (3 jours) des médianes étant noté. En revanche, les résultats obtenus pour le Merle noir (565 individus contactés) et la Grive litorne (60 individus) étaient trop lacunaires pour permettre une analyse, sans doute en raison d’un comportement migrateur moins nocturne que celui des Grives mauvis et musicienne.

Grive musicienne, Turquie, février 2024 (© Alper Yilmaz)

Bruant ortolan – Cette seconde enquête a eu lieu du 25 août au 15 septembre 2024, au même rythme de 3 à 7 nuits complètes d’enregistrement par semaine sur 81 sites (Coiffard 2025b). Au cours de cette période, au moins 1518 individus ont été contactés. Les nuits ayant fourni le plus de contacts sont comprises entre le 27 août et le 8 septembre, le pic de passage de l’espèce s’étalant sur la dernière semaine d’août et la première de septembre.
Sur le plan géographique, que visait plus spécialement cette enquête, le Bruant ortolan a été noté en migration nocturne sur la quasi-totalité du territoire, mais plus spécialement dans le sud-ouest du pays, sur les contreforts du Massif central, notamment dans le Limousin, et en Île-de-France. Le passage de l’espèce a également été noté dans l’est du pays, en bordure des Vosges et du Jura, et dans la plaine de la Saône. Les contacts limités dans le Sud-Est et absents de Corse, s’expliquent par la rareté des sites d’enregistrements à l’est d’une ligne reliant Pau et Genève. Pour cette raison, les résultats obtenus ne permettent pas d’identifier les deux axes migratoires connus à l’échelle nationale décrits par Jiguet et al. (2019) à partir d’oiseaux porteurs de balises : une voie à dominante atlantique, concernant les populations de Bruant ortolan d’Allemagne et de Norvège, et d’une partie des oiseaux suédois et baltes, relie le nord-est du pays et le Sud-Ouest, pour un franchissement des Pyrénées dans leur partie occidentale ; une voie plus méditerranéenne, empruntée par les oiseaux de Pologne et de Finlande, et le reste des populations suédoises et baltes, pénétrant par l’est du pays, longeant la Méditerranée avant de traverser les Pyrénées du côté oriental.

Bruant ortolan, Turquie, avril 2023 (© Ogün Aydin)

Conclusion
Le développement des enregistrements nocturnes d’oiseaux en migration ou en déplacement est en plein essor en France et fournit à l’évidence des données précieuses sur la présence, la phénologie ou même l’abondance relative de certaines espèces. Les résultats obtenus par cette méthode sont certes intéressants, mais la connaissance des populations d’oiseaux semble être devenue la priorité des associations et instances nationales… au détriment de la protection proprement dite des espèces en déclin. On connaît ainsi aujourd’hui avec précision le taux de diminution de la plupart des passereaux et il est presque possible de prédire la date de leur extinction… mais quelles mesures concrètes sont-elles prises pour enrayer le déclin général des populations d’oiseaux ou empêcher la disparition de la plupart des passereaux ?

Références : • Coiffard P. (2025a). Programme Vol de Nuit : Bilan de l’année 2024. Ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, Agence Nationale de la Recherche. LPO BirdLife France, MNHN, OFB, BioPhonia, Trektellen. • Coiffard P. (2025b). Bilan de l’enquête flash « Bruant ortolan, passage postnuptial 2024 », programme Vol de Nuit. Ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, Agence Nationale de la Recherche. LPO BirdLife France, MNHN, OFB, Biophonia, Trektellen. • Coiffard P. & Sallé L. (2024). Bilan de l’enquête flash « Turdus, remontée des grives 2024 », programme Vol de Nuit. Ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, Agence Nationale de la Recherche. LPO BirdLife France, MNHN, OFB, Biophonia, Trektellen. • Dupuy J. & Sallé L. (2022). Atlas des oiseaux migrateurs de France. LPO, MNHN. Éditions Biotope, Mèze.  • Jiguet F., Robert A., Lorrillière R. et al. (2019). Unravelling migration connectivity reveals unsustainable hunting of the declining Ortolan Bunting. Science Advances 5(5) : eaau2642

Citation recommandée : Duquet M. (2025). OrnithoScience : suivi de la migration nocturne en France en 2024. Post-Ornithos (marcduquet.com) 2 : e2025.09.03