Les observations de Puffin cendré à l’intérieur des terres

Puffin cendré, lac de Maine, Angers, Maine-et-Loire, 30 août 2025 (© Andrew Butler)

Le 30 août 2025, Andrew Butler a trouvé et photographié un Puffin cendré Calonectris borealis sur le lac de Maine, à Angers-Bouchemaine (Maine-et-Loire) ; l’oiseau a été observé jusqu’au 31 août à 14 h, heure à laquelle il s’est envolé vers le nord (Alain Fossé, in litt.). Sur certaines des photos prises par les nombreux observateurs venus voir l’oiseau une bague métallique est visible à la patte droite. Alain Fossé rapporte que l’oiseau alternait des périodes de vol entrecoupées de pauses sur l’eau et qu’il attisait la curiosité des Goélands leucophées qui le harcelaient continuellement.

Puffin cendré, Angers, 30 août 2025 (© Andrew Butler)
Puffin cendré, Angers, 30 août 2025 (© Andrew Butler)
Puffin cendré, Angers, 31 août 2025 (© Lionel Manceau)
Puffin cendré, Angers, 31 août 2025 (© Lionel Manceau)

Dans l’après-midi du 31 août, l’oiseau a été effrayé par des pêcheurs sur la Mayenne alors qu’il volait près du pont de Montreuil-Juigné (Maine-et-Loire), à environ 9,2 km du centre du lac, et il a alors percuté un arbre et est resté au sol durant toute la journée. Une dame, qui avait été témoin de la scène, est revenue en fin d’après-midi pour vérifier l’état du puffin et finalement le récupérer. Le lendemain, elle l’a emmené à la clinique vétérinaire la plus proche qui lui a prodigué les premiers soins, puis il a été transféré à la Clinique de la Faune sauvage du Centre hospitalier universitaire vétérinaire d’Oniris à Nantes (Loire-Atlantique), où il a dû être euthanasié, en raison de son état ; il était en effet fortement déshydraté, en hypothermie et ne pesait que 540 g pour un poids normal variant de 560 à 730 g (Duquet 2015).

Puffin cendré à son arrivée à la clinique vétérinaire,
1er septembre 2025 (© Dominique Gaultier)
Bague du Puffin cendré trouvé au lac de Maine à Angers,
1er septembre 2025 (© Dominique Gaultier)

La bague métallique à sa patte droite portait la mention « CEMPA SECRET. EST AMBIENTE LISBOA –LV21634 » correspondant au programme de baguage national portugais. Valter Medeiros, un bagueur azorien, a laissé entendre à Alain Fossé que cet oiseau pourrait être originaire de chez lui, ce qu’a confirmé Rui Oliveira, qui l’a lui-même bagué juvénile en novembre 2021 sur Terceira, une des neuf îles de l’archipel des Açores. On peut associer la présence de cet individu aux restes de l’ouragan Erin qui a touché la façade atlantique les jours précédents (Alain Fossé, in litt.).

Autres mentions de l’espèce à l’intérieur des terres
En France, cette observation est seulement la quatrième à l’intérieur des terres. Dubois et al. (2008) citent deux données – un individu tué à Vaulx-en-Velin (Rhône) à l’automne 1909 et un individu observé sur le lac du Der-Chantecoq (Marne) le 25 octobre 1978 – en précisant que la sous-espèce est inconnue. En effet, au moment de la publication de cet ouvrage, le Puffin de Scopoli Calonectris diomedea, méditerranéen, était encore considéré comme une sous-espèce du Puffin cendré, les deux taxons ayant été élevés au rang d’espèce il y a une dizaine d’années (Sangster et al. 2012). Une mention plus récente provient du sud du Massif central, où un Puffin cendré affaibli a été découvert au sol à Saint-Affrique (Aveyron) le 17 juillet 2021 ; il a ensuite été confié au centre de soins de Millau, où il est mort deux jours plus tard. En dépit d’une certaine proximité avec la Méditerranée, il ne s’agissait pas d’un Puffin de Scopoli, mais bien d’un Puffin cendré, comme son plumage typique le montre.

Puffin cendré, Aveyron, juillet 2021 (© Samuel Talhoët)
Puffin cendré, Aveyron, juillet 2021 (© Samuel Talhoët)
Puffin cendré, Aveyron, juillet 2021 (© Samuel Talhoët)
Puffin cendré, Aveyron, juillet 2021 (© Samuel Talhoët)

Ces quatre données ont toutes été obtenues en période postnuptiale (17 juillet, 31 août, 25 octobre et « automne ») et à grande distance de l’océan Atlantique : 125 km pour Angers, 340 km pour Saint-Affrique, 540 km pour le lac du Der (et 572 km par rapport à la Méditerranée dans l’hypothèse où cet oiseau aurait été un Puffin de Scopoli) et 490 km pour Vaulx-en-Velin (315 km de la Méditerranée).

On peut ajouter à cette série la mention à peine croyable d’une femelle chantant en vol nocturne au-dessus de la maison de Philippe J. Dubois à Belz (Morbihan) en août 2024 ! Certes, cela se situe à 1,5 km à peine de l’océan (golfe du Morbihan), mais ça n’en reste pas moins extraordinaire pour autant ! Deux autres enregistrements de Puffin cendré chanteur de nuit sur les côtes bretonnes ont été faits ces dernières années par Stanislas Wroza, tous deux dans le Finistère : un mâle le 23 juin 2024 dans le port d’Audierne (Sainte-Evette/Esquibien) et une femelle le 22 avril 2025 à la pointe du Van (Cléden-Cap-Sizun). Dans ces deux cas, les oiseaux étaient quasiment en bord de mer, mais leur présence ici indique que des Puffins cendrés prospectent peut-être dans cette région au printemps… Rappelons que l’espèce niche principalement sur les trois archipels les plus septentrionaux de Macaronésie – les Açores, Madère et les Canaries (dans les îles du Cap-Vert, c’est le Puffin du Cap-Vert qui est présent) – ainsi que dans l’archipel des Berlengas sur la côte occidentale du Portugal (del Hoyo et al. 2020). Elle a récemment étendu son aire de nidification à la Galice, au nord-ouest de l’Espagne, avec une première nidification à Cíes en 2007 et la présence en 2011 de petites colonies sur les îles côtières de Cíes, Sisargas et Coelleira (Munilla et al. 2016), cette dernière étant située à 520 km à peine de la Bretagne.

Puffin cendré, Finistère, août 2020 (© Philippe J. Dubois)

En Angleterre, pays pourtant insulaire, il n’existe que trois données de Puffin cendré dans les terres :
• le 2 octobre 1971, un individu a été trouvé épuisé (il est mort peu après) à Chasewater (Staffordshire), au nord de Birmingham ; 
• le 15 septembre 2016, un individu a été vu passant en vol au-dessus de Regent’s Park, en plein cœur de Londres (!) ;
• le 2 novembre 2017, un individu a été trouvé posé sur l’eau à Rutland Water (Leicestershire), 80 km à l’est de Birmingham, avant d’être revu deux jours plus tard sur le réservoir de Pitsford (Northamptonshire), à environ 40 km de là.
Ces trois observations britanniques ont eu lieu dans un contexte de temps chaud et ensoleillé, sans vent, des conditions météorologiques qui ne sont pas à même de pousser un grand puffin à l’intérieur des terres…

En Amérique, del Hoyo et al. (2024) évoquent la présence exceptionnelle du Puffin cendré à l’intérieur des terres jusqu’en Oklahoma, généralement à la suite de cyclones automnaux, mais je n’ai trouvé aucun article relatant ces observations. Ces auteurs indiquent également que l’espèce a déjà été vue sur les côtes mexicaines, colombiennes et vénézuéliennes. Les publications rapportant les observations faites dans ces trois pays montrent toutefois qu’elles sont toutes strictement côtières :
• au Mexique, des restes de Puffin cendré ont été trouvés à Puerto Morelos (Quintana Roo), le 23 janvier 1996, à la pointe de la péninsule du Yucatan et au bord de la mer des Caraïbes, fournissant la première mention de l’espèce en Amérique centrale (Brewer & Brewer 1997) ;
• en Colombie, la première observation du Puffin cendré concerne un individu trouvé mort le 16 mai 2009 suspendu aux branches d’un palétuvier dans la baie de Cispatá (San Antero, Córdoba), au nord-ouest de la côte caraïbe colombienne (Ruiz-Guerra & Cifuentes-Sarmiento 2010) ;
• au Venezuela, une grande partie du squelette et de la peau d’un Puffin cendré récemment mort a été trouvée en décembre 1999 dans une petite lagune temporaire située sur la péninsule d’Araya, au nord-est du Venezuela (Marín et al. 2002).
Par ailleurs, sur l’île de Trinité-et-Tobago, proche des côtes du Venezuela, des Puffins cendrés morts ou épuisés ont été trouvés en juin 1955, février 1956 et avril 1961 (ffrench 1976).

Conclusion
Les données continentales du Puffin cendré restent extrêmement rares, quelle que soit la région du monde. De fait, la présence d’un Puffin cendré, espèce hautement pélagique, à l’intérieur des terres, et de surcroît à des dizaines, voire des centaines de kilomètres des côtes, est à peine croyable, surtout lorsque celle-ci n’est pas en lien avec un événement tempétueux. D’ailleurs les ornithos ayant rapporté les observations figurant ici se sont tous demandés à un moment donné s’ils ne rêvaient pas ! Il faut en outre noter que tous les puffins qui se sont aventurés loin de l’océan et dont le devenir est connu ont succombé, affaiblis car vraisemblablement dénutris.

Références : • Brewer A.D. & Brewer M. (1997). First record of Cory’s Shearwater Calonectris diomedea for mainland Mexico. Cotinga 7 : 19. • del Hoyo J., Collar N., Kirwan G.M. & Pyle P. (2024). Cory’s Shearwater (Calonectris borealis), version 1.1. In Billerman S.M., Keeney B.K., Rodewald P.G. & Schulenberg T.S. (eds), Birds of the World. Cornell Lab of Ornithology, Ithaca. • Dubois P.J., Olioso G., Le Maréchal P. & Yésou P. (2008). Nouvel inventaire des oiseaux de France. Delachaux et Niestlé, Paris. • Duquet M. (2015). Tout sur les oiseaux d’Europe. Delachaux et Niestlé, Paris. • ffrench R. (1976). A guide to the birds of Trinidad and Tobago. Harrowood Books, Valley Forge, Pennsylvania. • Marín G., Muñoz J., Guevara S. & Rodríguez J.R. (2002). Calonectris diomedea, nuevo procelárido para Venezuela [Calonectris diomedea, a new procellariid for Venezuela]Orn. Neotropical 13(1) : 91-92. • Munilla I., Genovart M., Paiva V.H. & Velando A. (2016) Colony Foundation in an Oceanic Seabird. PLoS ONE 11(2) : e0147222. • Ruiz-Guerra C. & Cifuentes-Sarmiento Y. (2010). Primer registro del Petrel de Cory (Calonectris diomedea) para Colombia [First record of Cory’s Shearwater(Calonectris diomedea) for Colombia]. Orn. Colombiana 10 : 65-68. • Sangster G., Collinson J.M., Crochet P.-A., Knox A.G., Parkin D.T. & Votier S.C. (2012). Taxonomic recommendations for British birds : Eighth report. Ibis 154(4) : 874-883.

Un grand merci à Alain Fossé qui m’a signalé cette observation exceptionnelle dans le Maine-et-Loire et m’a communiqué tous les détails relatifs à cette donnée. Merci à Philippe J. Dubois pour les informations relatives aux chanteurs nocturnes bretons. Et merci aux photographes dont les clichés illustrent cet article.

Citation recommandée : Duquet M. (2025). Les observations de Puffin cendré à l’intérieur des terres. Post-Ornithos (marcduquet.com) 2 : e2025.09.05.

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