Espèces, taxons et noms scientifiques

Mon ami Dominique Michelat m’écrivait récemment qu’il avait vu dans le récent guide de Nils van Duivendijk intitulé Identifier les oiseaux d’Europe (que j’ai eu l’honneur de traduire pour les éditions Delachaux et Niestlé) que le nom scientifique du Tétras lyre était redevenu Tetrao tetrix alors qu’il se nommait Lyrurus tetrix dans la troisième édition du Guide ornitho, mais restait Tetrao tetrix dans l’Atlas des oiseaux de France métropolitaine… Comme lui vous aurez vu aussi remarqué que la plupart de nos fauvettes (sauf la Fauvette à tête noire et la Fauvette des jardins) n’étaient plus des Sylvia mais étaient devenues des Curruca. Parallèlement, nous avons appris que la Pie-grièche des steppes va de nouveau être traitée comme une sous-espèce de la Pie-grièche grise et que la seule Pie-grièche méridionale qui subsistera après ces changements serait la nôtre (sud de la France), mais aussi qu’il n’y aurait bientôt plus qu’une seule espèce de Sizerin (regroupant toutes les sous-espèces de Sizerin cabaret, flammé et blanchâtre) et que la Corneille mantelée allait redevenir une sous-espèce de la Corneille noire…
Cette propension des taxinomistes d’affirmer certaines choses et de dire leur contraire peu de temps après altère fortement leur crédibilité. Et cela fait plusieurs années que ces changements incessants et surtout ces retours en arrière m’énervent prodigieusement (le cas des sizerins en est une bonne illustration), car que ce soit sur le terrain ou dans l’édition et la presse, nous avons besoin d’une stabilité de la nomenclature. Il y a un peu plus d’une décennie, on pouvait observer la Fauvette passerinette Sylvia cantillans en Corse, mais aujourd’hui la Fauvette de Moltoni Curruca moltoni l’a remplacée : l’oiseau n’a pas changé pour autant ! Cette tambouille permanente de quelques taxinomistes nous fait perdre notre latin et laisse potentiellement la porte ouverte à certains abus. En effet, si la loi française protège intégralement la Fauvette passerinette, identifiée par son nom scientifique Sylvia cantillans, ne devient-il pas légal de piéger à la glu une Fauvette de Moltoni Curruca moltoni, absente des textes de lois ? C’est pourquoi je préconise depuis plusieurs années de ne plus parler d’espèces mais juste de taxons et d’oublier autant que faire se peut les noms scientifiques… Ainsi, que les taxinomistes en fassent deux espèces distinctes ou deux sous-espèces de la Corneille noire et quel que soit le nom scientifique qui leur est attribué, la Corneille mantelée et la Corneille noire seront toujours deux taxons différents et bien différentiables sur le terrain. De même, si l’on considère qu’il va prochainement n’y avoir qu’une seule espèce de Sizerin, il sera toujours possible de différencier le Sizerin blanchâtre du Sizerin cabaret ainsi que, pour la plupart des individus, du Sizerin flammé ! N’est-ce pas cela le plus important pour les ornithos de terrain que nous sommes ?

Sizerin cabaret, Espagne, janvier 2024 (© César Diez González)
Sizerin blanchâtre, USA, janvier 2013 (© Christian Newton)