Le Râle des genêts en France, une disparition annoncée…
Le Plan National d’Actions (PNA) 2024-2033 en faveur du Râle des genêts, récemment rendu public, révèle que l’espèce, en fort déclin en Europe de l’Ouest depuis les années 1980 (Horváth & Schäffer 1997, Keiss 2020), est désormais considérée comme proche de l’extinction en France, avec une population nationale inférieure à 100 mâles chanteurs (Hercé et al. 2024).
Après deux programmes LIFE (périodes 1994-1996 et 2011-2015) et deux autres PNA (2005-2009 et 2013-2018) dédiés à l’espèce (Deceuninck et al. 2011, Hennique et al. 2013), force est de constater que le travail des associations de protection des oiseaux n’a pas eu l’effet escompté sur les effectifs et la distribution du Râle des genêts en France… Ce troisième PNA, d’une durée de 10 ans, dont l’objectif est de «stabiliser les effectifs du Râle des genêts au cours des premières années du plan et d’atteindre une tendance positive d’ici 2033» permettra-t-il d’inverser la tendance ? On peut avoir des craintes à ce sujet… À défaut de sauver l’espèce, ces études successives auront permis de suivre en temps réel le déclin de l’espèce en France… comme c’est, hélas, devenu la norme pour nombre d’autres oiseaux menacés.

Le Râle des genêts
Unique représentant du genre Crex (le Râle des prés, qui vit en Afrique tropicale, autrefois Crex egregia est désormais placé dans le genre Crecopsis ; Gill et al. 2025), le Râle des genêts Crex crex niche dans toute l’Eurasie, de l’Europe de l’Ouest à la Sibérie centrale. L’espèce hiverne principalement dans les savanes de la moitié orientale de l’Afrique australe, au sud de la République démocratique du Congo et de la Tanzanie (Walther et al. 2012, Taylor & Kirwan 2020), mais aussi, comme l’ont révélé des oiseaux écossais et irlandais équipés de géolocalisateurs, dans le bassin du Congo, après une escale automnale au Nigéria et au Ghana (Green 2013).
Le statut de l’espèce à l’échelle mondiale est passé de «menacé (T)» en 1988 à «vulnérable (Vu)» en 1994 (Tucker & Heath 1994), «quasi-menacée (NT)» en 2004 (BirdLife International 2004) et «préoccupation mineure (LC)» depuis 2010 (BirdLife International 2016). Hélas, ce surclassement de l’espèce ne traduit pas une amélioration de la situation de l’espèce en Europe ; il résulte seulement de la découverte d’une très importante population (estimée entre 1 et 1,54 million de mâles chanteurs) en Russie, à la suite d’un recensement conduit en 1995 et 1996 et à une extrapolation des résultats à toute l’aire de répartition de l’espèce en Russie européenne (Mischenko & Sukhanova 1999). Mischenko (2008) qualifie la population russe du Râle des genêts de «très abondante et répandue».
Les effectifs mondiaux du Râle des genêts étaient estimés entre 3 et 7 millions d’individus matures en 2012 et considérés comme stable (BirdLife International 2016). Plus récemment, la population européenne a été évaluée à 1,15-1,72 million de « couples », dont l’essentiel (83-89%) en Biélorussie et en Russie (BirdLife International 2021). Les principaux bastions est-européens de l’espèce, à savoir les états baltes, la Géorgie, l’Ukraine, la Pologne et la Roumanie accueillent quelque 300000 mâles chanteurs (Corncrake Life).

Le Râle des genêts en France
À propos de la technique d’estimation de la population – L’évaluation de la population du Râle des genêts repose sur le dénombrement des mâles chanteurs, dont l’effectif est considéré comme proche du nombre de femelles reproductrices (Deceuninck 2011). Pourtant, Tyler & Green (1996) ont montré que les mâles non appariés chantaient durant 92% du temps dans les heures d’activité maximale, tandis qu’en présence d’une femelle, la fréquence d’émission du chant tombait à 12% du temps ; en d’autres termes, les mâles qui chantent activement plusieurs nuits consécutives sur un site donné sont des oiseaux solitaires, donc non nicheurs, et les couples brièvement unis (le mâle quitte la femelle en moyenne après 7-10 jours et en moyenne 5 jours avant le début de l’incubation ; Tyler & Green op. cit.) ne sont plus détectables, car les mâles appariés sont alors quasi silencieux… Dans le premier atlas européen des oiseaux nicheurs, Horváth & Schäffer (1997) écrivaient d’ailleurs « les mâles chanteurs ne sont pas une base fiable pour estimer la population, car ils abandonnent les femelles une fois la ponte complète ». Toutefois, en l’absence d’une autre technique d’estimation des effectifs, le nombre de mâles chanteurs, s’il ne correspond ni à celui des couples ni à celui des femelles nicheuses, reste un paramètre de suivi aisément quantifiable, reproductible et comparable d’années en années.
Évolution des effectifs et de la répartition – Le Râle des genêts figure parmi les espèces d’oiseaux les mieux suivis en France, où ses effectifs sont dénombrés régulièrement depuis le début des années 1980.
• Le premier recensement exhaustif de la population française du Râle des genêts a été mené de 1982 à 1984, période au cours de laquelle 1600-2200 mâles chanteurs avaient été détectés (Broyer 1985), les principaux noyaux de population identifiés se situant alors en Normandie (170-330 chanteurs), dans le val de Loire (490-730), les vallées angevines (330), le val de Charente (≥ 180), le val de Saône (350) et le bassin de la Meuse (22-63).
• Un deuxième recensement fut organisé en 1991-1992, révélant une population de 1100-1200 mâles chanteurs en France, soit une chute d’effectifs d’environ 40% en moins d’une décennie (Broyer & Rocamora 1994).
• L’enquête Râle des genêts suivante a été menée en 1998 et a permis de dénombrer 1140-1282 mâles chanteurs (Deceuninck & Broyer 2000), les principaux noyaux de population étant désormais les basses vallées angevines (366-397 mâles chanteurs), le val de Saône (252-275), le val de Loire (223-233), les vallées alluviales du Nord et de l’Est (107-125), le val de Charente et le marais Poitevin (99-122), la vallée de la Vienne en Indre-et-Loire (53-63) et la Normandie (28-42).
• Deux enquêtes nationales ont par la suite été organisées en 2006 (486-566 mâles chanteurs) et 2009 (495-551), puis les recensements sont devenus annuels, par le biais du réseau Espèces Nicheuses Rares et Menacées (ENRM) animé avec constance, sérieux et efficacité par Gwenaël Quaintenne. Les rapports ENRM successifs ont, hélas, confirmé le déclin inéluctable du Râle des genêts en France : 380-425 mâles chanteurs en 2010, 295-320 en 2011, 344-359 en 2012, 277-314 en 2013, 226-253 en 2014, 200-222 en 2015, 178-215 en 2016, 87-109 en 2017, 128-150 en 2018, 77-108 en 2019, 205-227 en 2020, 117-150 en 2021… L’année 2022 (64-77) verra l’espèce passer sous la barre symbolique de la centaine de mâles chanteurs et 2023 (81-92) confirmera cet état de fait (Quaintenne et al. 2024, 2025).
Quatre décennies après la première enquête nationale de 1982-1984, les effectifs du Râle des genêts ont donc chuté de plus de 97% en France (fig. 1), et ce en dépit des mesures agri-environnementales mises en place pour l’espèce (Hercé et al. 2024).

Parallèlement à cette érosion continue des effectifs, l’aire de répartition française du Râle des genêts a connu une contraction spectaculaire (fig. 2), l’espèce ayant disparu de 42 départements entre l’enquête de 1982-1984 et le dénombrement de 2022, tandis que la superficie occupée par l’espèce a été divisée par dix depuis 1998, passant de 25600 à 2300 km2 en 2022 (Hercé et al. 2024).
Avec 47-49 mâles chanteurs en 2023, les basses vallées angevines sont désormais le dernier noyau de population français, que complètent modestement l’estuaire de la Seine (8-9) et les Alpes-Maritimes (5), les quelques autres sites accueillant moins de trois chanteurs chacun (Quaintenne et al. 2025).

Une situation similaire ailleurs en Europe de l’Ouest
Une contraction de l’aire de répartition du Râle des genêts a également été notée à l’échelle européenne avant les années 1980, ayant pour conséquence la disparition de l’espèce dans de vastes zones de Grande-Bretagne, de France et d’Allemagne (Horváth & Schäffer 1997). Confirmant ces disparitions à l’extrême ouest (une grande partie de l’Irlande) et sud (Espagne, sud de la France) de l’aire européenne, le deuxième atlas européen fait également apparaître une légère expansion de l’espèce vers le nord en Fennoscandie (fig. 3), le Danemark ayant ainsi été recolonisé par l’espèce, tout comme le nord de l’Italie, même si les effectifs y demeurent faibles (Keiss 2020). Mais si quelque 16 pays (sur 38) rapportent une augmentation du nombre de Râles des genêts chanteurs au cours des années 1990, celle-ci s’est arrêtée dans la plupart d’entre eux après 2000 ; en effet, entre 2000 et 2012, trois pays seulement ont gagné des chanteurs (Koffijberg et al. 2016).

gris : secteurs où l’espèce s’est maintenue ; bleu : secteurs où l’espèce est apparue).
La situation est plus encourageante en Écosse, où les mesures de conservation plus efficaces mises en place au milieu des années 1990 se sont avérées efficaces, les effectifs ayant augmenté régulièrement pour atteindre un plateau depuis 2007 (Koffijberg et al. 2016).

Menaces pesant sur l’espèce
Le biotope originel du Râle des genêts devait probablement être constitué par la cariçaie, la moliniaie ou les milieux herbacés à végétation hygrophile basse (Broyer 1987), des habitats devenus rares au cours du XXe siècle, contraignant l’espèce à s’installer dans les prairies de fauche, où elle a pu prospérer jusqu’au développement de l’agriculture intensive.
Le drainage des zones humides et l’usage intensif d’intrants (engrais chimiques, pesticides…) dans les prairies altèrent durablement les habitats du Râle des genêts. Mis en œuvre au début du XXe siècle, ils se sont accélérés dans les années 1960, notamment en Europe de l’Ouest, aboutissant à la disparition ou à la fragmentation des habitats prairiaux et des zones humides, par artificialisation des sols, conversion en monocultures de maïs, tournesol ou céréales, ou abandon pure et simple des prairies, qui évoluent alors en friches buissonneuses puis en peuplements forestiers défavorables au Râle des genêts (Belghali et al. 2021).
La diminution des effectifs et la disparition du Râle des genêts dans les années 1990 sont également corrélées à la gestion intensive des prairies, induisant des fauches plus précoces et plus nombreuses ; en détruisant les nids et en tuant les poussins, la mécanisation de la fauche est considérée aujourd’hui comme la principale menace pour l’espèce en Europe (Koffijberg & Schäffer 2006). Avec le dérèglement climatique, cette situation ne risque pas de s’améliorer…
L’augmentation des effectifs de Râle des genêts dans les pays d’Europe orientale dans les années 1990 est attribuée à l’effondrement du bloc soviétique, qui en provoquant l’abandon de vastes surfaces de terres cultivées a fourni des conditions favorables à la reproduction du Râle des genêts (Keiss 2020). Mais cette embellie a été de courte durée et les zones abandonnées se sont rapidement détériorées, en raison de leur évolution naturelle vers des peuplements forestiers (envahissement progressif des prairies par des buissons…) ou d’une mise en culture intensive de ces terres (Keiss op. cit.).
De même, en Pologne et dans les états baltes, les changements d’utilisation des sols et le développement de l’agriculture intensive consécutifs à l’entrée de ces pays dans l’Union Européenne ont eu des effets très négatifs sur les habitats du Râle des genêts, induisant un net déclin de leurs populations depuis 2013 (Keiss op. cit.).

Conclusion
La diminution des populations européennes du Râle des genêts a été notée dès le milieu du XIXe siècle en Angleterre et en Allemagne, puis au début du XXe siècle dans la plupart des autres pays d’Europe de l’Ouest (Broyer 1994), mais le rythme de ce déclin et de la réduction de l’aire de répartition de l’espèce s’est accéléré à partir des années 1970 (Horváth & Schäffer 1997). Parmi les pays européens accueillant des populations importantes, 17 ont ainsi connu un déclin supérieur à 20 % et 10 un déclin de plus de 50% au cours de la période 1970-1990, seules la Suède et la Finlande ayant été épargnées (Horváth & Schäffer op. cit.).
Malgré les estimations importantes des populations de Râle des genêts d’Europe orientale et de Russie, et le statut sécurisé qui en découle sur la liste rouge, et compte tenu des changements en cours dans l’utilisation des terres et les pratiques agricoles dans ces pays, il n’est pas certain que l’avenir de l’espèce, y compris dans son aire de reproduction principale, soit assuré à long terme.
Yeatman (1971) écrivait il y a plus d’un demi-siècle à propos du Râle des genêts : « Peut-être assistons-nous à la mort naturelle d’une espèce, processus qui s’est produit normalement au cours des âges, mais qui est sans doute accéléré par le machinisme. » L’avenir risque de lui donner raison…
Références : • Belghali S., Hercé T. & Besnard A. (2021). Synthèse bibliographique sur le Râle des genêts. État des connaissances et retours d’expériences de mesures de protection. Rapport pour la DREAL Pays de Loire et PNA Râle des genêts. • BirdLife International (2004). Birds in Europe : population estimates, trends and conservation status. BirdLife Conservation Series no. 12. BirdLife International, Cambridge. • BirdLife International (2016). Crex crex Corncrake. The IUCN Red List of Threatened Species 2016 : e.T22692543A86147127. • BirdLife International (2021). European Red List of Birds. Publications Office of the European Union, Luxembourg. • Broyer J. (1985). Le Râle de genêts en France. SRETIE/UNAO/CORA, Lyon. • Broyer J. (1987). Le Râle de genêts en France : évolutions et perspectives. Rev. Écol. (Terre Vie) 42, suppl. 4 : 271-278. • Broyer J. (1994). La régression du Râle de genêts Crex crex en France et la gestion des milieux prairiaux. Alauda 62(1) : 1-7. • Broyer J. & Rocamora G. (1994). Enquête nationale Râle de genêts 1991-92. Principaux résultats. Ornithos 1-1: 55-56. • Deceuninck B. (2011). Statut du Râle des genêts Crex crex en France en 2009. Distribution, effectifs et tendance. Ornithos 18-1 : 11-19. • Deceuninck B. & Broyer J. (2000). Le Râle des genêts Crex crex en France. Synthèse de l’enquête nationale 1998. Ornithos 7-2 : 62-69. • Deceuninck B., Mourgaud G. & Beslot É. (2011). Plan National d’Action Râle des genêts (2005-2009). Bilan final. LPO, DREAL Pays de la Loire. • Gill F., Donsker D. & Rasmussen P. (eds) (2025). IOC World Bird List (v15.1). (www.worldbirdnames.org). • Green R.E. (2013). Tracking Scotland’s corncrakes. Birdwatch 250 : 26-28. • Hennique S., Deceuninck B., Mourgaud G. & Chanson C. (2013). Deuxième plan national d’actions en faveur du Râle des genêts (Crex crex) 2013-2018. LPO, LPO Anjou, Ministère de l’Écologie, du Développement Durable et de l’Énergie, DREAL des Pays de la Loire. • Hercé T., Lecoq A., Belghali S. & Cottineau T. (2024). Plan National d’Actions en faveur du Râle des genêts Crex crex – 2024-2033. Ministère de la Transition Écologique et de la Cohésion des Territoires. • Horváth R. & Schäffer N. (1997). Crex crexCorncrake. In Hagemeijer E.J.M. & Blair M.J. (eds), The EBCC Atlas of European Breeding Birds : their distribution and abundance. London, T. & A.D. Poyser : 230-231. • Keiss O. (2020). Crex crex Corncrake. In Keller V., Herrando S., Vorisek P. et al. (eds), European Breeding Bird Atlas 2 : Distribution, Abundance and Change. European Bird Census Council. Barcelona, Lynx Edicions: 214-215. • Koffijberg K. & Schaffer N.(coord.) (2006). International Single Species Action Plan for the Conservation of the Corncrake Crex crex. CMS Technical Series No. 14 & AEWA Technical Series No. 9. Bonn, Germany. • Koffijberg K., Hallman C., Keiss O. & Schäffer N. (2016). Recent population status and trends of Corncrakes Crex crex in Europe. Vogelwelt 136 : 75-87. • Mischenko A. (2008). Corncrake Crex crex monitoring in European Russia in 2002-2003 : a pilot study. Revista Catalana d’Ornitologia 24 : 65-70. • Mischenko A. & Sukhanova O. (1999). The Corncrake (Crex crex) in Russia (European Part ). Proceedings International Corncrake Workshop 1998 : 77-82. • Quaintenne G. & les coordinateurs-espèce (2024). Les oiseaux nicheurs rares et menacés en France en 2022. 24e rapport du réseau ENRM. Ornithos 31-2 : 49-94. • Quaintenne G. & les coordinateurs-espèces (2025). Les oiseaux nicheurs rares et menacés en France en 2023. Ornithos 170 : 4-31. • Taylor B. & Kirwan G.M. (2020). Corn Crake (Crex crex), version 1.0. In del Hoyo J., Elliott A., Sargatal J., Christie D.A. & de Juana E. (eds), Birds of the World. Cornell Lab of Ornithology, Ithaca. • Tucker G.M. & Heath M.F.(1994). Birds in Europe : their conservation status. BirdLife Conservation Series no. 3. BirdLife International, Cambridge. • Tyler G.A. & Green R.E. (1996). The incidence of nocturnal song by male Corncrakes Crex crexis reduced during pairing. Bird Study 43-2 : 214-219. • Walther B.A., Taylor P.B., Schäffer N., Robinson S. & Jiguet F. (2012). The African wintering distribution and ecology of the Corncrake Crex crex. Bird Conservation International 23 : 10.1017/S0959270912000159. • Yeatman L. (1971). Histoire des Oiseaux d’Europe. Bordas, Paris-Montréal.

Un grand merci à Philippe J. Dubois pour sa relecture constructive.
Citation recommandée : Duquet M. (2025). Le Râle des genêts en France, une disparition annoncée… Post-Ornithos (marcduquet.com) 2 : e2025.07.20.

