Première mention française de la Talève violacée

Le 7 février 2025, une Talève violacée Porphyrio martinica a été trouvée morte enchevêtrée dans un tas de branchages dans un jardin à Châtelaillon-Plage (Charente-Maritime), fournissant la première mention française de cette espèce néarctique. Les photos postées par Paul Coiffard sur la liste Telegram « Oiseaux Rares France » ne laissent aucun doute sur l’identité de cet oiseau, son bec bicolore, ses pattes jaunâtres et ses sous-caudales uniformément blanches permettant aisément de la distinguer d’une éventuelle Talève d’Allen.

Talève violacée, Charente-Maritime, février 2025 (© Martine Ribert)

Répartition et statut de l’espèce
Rallidé parmi les plus colorés, la Talève violacée est présente dans la quasi-totalité de l’Amérique du Sud (excepté dans le sud et l’extrême ouest), en Amérique centrale (Antilles incluses) et dans les états côtiers du sud des États-Unis (du Texas à la Floride) ; les oiseaux qui nichent dans les parties nord et sud de l’aire de répartition sont pour la plupart migrateurs, tandis que ceux qui vivent sous les tropiques sont sédentaires ou nomades.

La forte tendance à l’erratisme de l’espèce la conduit régulièrement très loin de son aire de répartition : elle a ainsi été notée jusque dans le nord-est du Canada (Labrador, Terre-Neuve, Saint-Pierre-et-Miquelon), dans des îles de l’Atlantique Sud (Malouines, Sainte-Hélène, Tristan da Cunha et même Géorgie du Sud) et du Pacifique (Galápagos, Clipperton et Hawaï) et plus de 21 fois (Silbernagl 1982) dans le sud-ouest de l’Afrique du Sud (province du Cap et KwaZulu-Natal), où elle est devenue presque annuelle ces dernières années (West & Hess 2020).

Talève violacée, adulte, Floride, février 2023 (© Michael Payton Stewart)

Dans le Paléarctique occidental
Plus près du continent européen, la Talève violacée a été signalée sur les îles atlantiques   : au moins 21 fois aux Açores (14 à São Miguel , 4 à Flores et 1 à Graciosa, Corvo et Faial), 3 fois à Madère (8 novembre 1969, 2 janvier 1976 et 25 octobre 2011 ; Zino et al. 1995, Hudson et al. 2012),2 fois dans l’archipel du Cap-Vert (26 février 2008 et 4 novembre 2014 sur Santiago ; eBird) et 1 fois aux Canaries (1 immature le 19 octobre 2004 sur Grande Canarie ; Tarsiger). Au Maroc, un immature trouvé affaibli le 15 novembre 2014 à Kénitra, dans le nord-ouest du pays a fourni la première mention de l’espèce pour le pays et pour l’Afrique du Nord ; récupéré et mis en sécurité dans un jardin, il a repris des forces et avait disparu trois jours plus tard (Lahlafi 2014).

Talève violacée, Maroc, novembre 2014 (© Thomas S. Lahlafi [à g.] et Antoine Rougeron [à dr.])

En Europe, la Talève violacée a fait l’objet d’au moins 12 observations  : 
• Islande (3 mentions) – un individu du 5 au 12 septembre 1976 à Hvítársíða, Kalmanstunga ;  un individu le 26 juin 1983 à Garður ; un individu le 30 janvier 2014 à Fljótshverfi, Krossá (Birding Iceland).
• Irlande (1 mention) – un mâle 2e année trouvé mort le 2 février 2014 sur la péninsule de Mullett, comté de Mayo (Suddaby 2014).

Talève violacée, Islande, janvier 2014 (© Guðmundur Ragnarsson)
Talève violacée, Irlande, février 2014 (© Dave Suddaby)

• Grande-Bretagne (4 mentions) – un immature trouvé épuisé le 7 novembre 1958 à St-Mary’s, Scilly, et mort deux jours plus tard (Anonyme 1960)  ; un 1er hiver trouvé mort le 24 janvier 2011 à Mary Tavy, Devon (Whitehead & Waite 2011, Hudson et al. 2012)  ; un individu, également trouvé mort, en avril ou mai 2008 à Old Warden, Bedfordshire (Hudson et al. 2009)  ; un immature le 16 novembre 2022 dans le Somerset (Bryant & Viles 2022). La mention d’un individu le 25 octobre 1997 sur l’île Walney, Cumbria, est bien documentée mais pourrait concerner un échappé de captivité (eBird), ce qui explique sans doute qu’elle ne figure pas dans les rapports d’homologation britanniques.

Talève violacée, Somerset, novembre 2022 (© Joe Bryant)

• Norvège (1 mention) – un individu tiré le 14 novembre 1883 à Mosby, Kristiansand, Agder, dans l’extrême sud du pays ; l’oiseau a été considéré comme échappé de captivité (Haftorn 1971), sans que rien ne prouve cette origine. Une arrivée naturelle est pourtant loin d’être exclue au regard des autres données ouest-européennes obtenues depuis, notamment celles d’Islande et des îles Britanniques, ce que suggéraient déjà Hudson et al. (2012).
• Suisse (1 mention) – une femelle adulte le 1er décembre 1967 à Saliboden/Bisistal, canton de Schwytz, considérée comme « vraisemblablement échappée de captivité » (Winkler 1999) ; cette donnée a été révisée et rejetée par la Commission de l’Avifaune Suisse. Pourtant, comme la donnée norvégienne (ci-dessus), elle entre dans le schéma classique d’apparition de l’espèce en Europe…
• Italie (1 mention) – un individu capturé le 9 mai 1890 dans la province de La Spezia près de Gênes (Piccioli & Rosi 1994, Baghino et al. 2012). Andrea Corso (in litt.) m’a fait part de l’existence d’une autre donnée historique – un oiseau naturalisé avant 1883 supposée provenir du lac Lentini, province de Syracuse, Sicile –, mais étant donné qu’il y a de nombreux autres oiseaux américains dans la collection dont fait partie cet oiseau, son origine sicilienne n’est pas certaine (Corso & Ientile 1994). Par ailleurs, Brichetti & Fracasso (2018) mentionnent une donnée de juillet 1990 en Émilie-Romagne (spécimen conservé), mais celle-ci n’a jamais été soumise au Comité d’homologation italien (A. Corso, comm. pers.).
 • Portugal (1 mention hors Madère) – un oiseau de 1er hiver présent du 7 au 11 novembre 2013 à Lisbonne, transporté le 11 en centre de soins, où il mourra le 13 (Farnsworth 2014).

Talève violacée, Portugal, novembre 2013 (© José Luís Barros)

Discussion
La plupart des mentions européennes (hors Islande et Açores) ont été obtenues entre la mi-octobre et la fin février, avec un pic assez marqué dans la deuxième quinzaine d’octobre (3 données) et, surtout, dans la première moitié de novembre (6 données) ; un second pic plus modeste (2 données par quinzaine) apparaît de mi-janvier à mi-février. 
 
Les observations se rapportent majoritairement à des oiseaux affaiblis ou trouvés morts (surtout des jeunes de l’année) dans des habitats qui ne leur conviennent pas et où ils sont donc faciles à repérer ; cela peut laisser penser que les individus qui arriveraient dans des zones humides similaires à leurs habitats naturels pourraient survivre et passer complètement inaperçus. 

À propos de l’origine des oiseaux vus en Europe, comme le faisaient déjà remarquer Hudson et al. (2012), aucune preuve n’a été apportée pour étayer les affirmations selon lesquelles certaines données concerneraient des échappés de captivité. Suite à l’observation de l’oiseau du Bedfordshire en avril-mai 2008, le comité d’homologation anglais (BBRC) avait mené une enquête sur la présence de l’espèce en captivité en Grande-Bretagne, et il s’était avéré qu’un seul établissement en possédait (Hudson et al. 2009). Sachant cela et à la lumière du pattern d’apparition de l’espèce en Europe de l’Ouest, mieux connu aujourd’hui, les données norvégienne et suisse mériteraient peut-être d’être réexaminées, d’autant plus que la présence de l’espèce en captivité en Europe à la fin du XIXe siècle et au milieu du XXe siècle devait être plus rare encore.
 
Notons enfin qu’un net afflux de l’espèce vers le nord-ouest a eu lieu à la fin de l’automne 2013 et au cours de l’hiver 2014, générant un nombre surprenant d’observations au nord de son aire de répartition ; treize observations occasionnelles ont ainsi été recensées (or, les Talèves violacées ne sont pas faciles à trouver !), dont 2 aux Bermudes, 3 au Canada et 5 concernant des oiseaux ayant traversé l’Atlantique, jusqu’en Islande, en Irlande, au Cap-Vert, au Portugal et au Maroc (Farnsworth 2014).

Références : • Anonyme (1960). American Purple Gallinule in the Isles of Scilly : a bird new to Britain and Europe. British Birds 53 (4) : 145-146. • Baghino L., Borgo E., Bottero M., Galli L. & Valfiorito R. (2012). Check-list degli uccelli di Liguria. Riv. Ital. Orn. 81 : 15-42. • Brichetti A. & Fracasso G. (2018). The Birds of Italy. 1. Anatidae-Alcidae. Edizioni Belvedere, Latina. • Bryant J. & Viles S. (2022). Rarity finders: Purple Gallinule in Somerset. BirdGuides 23/11/2022. • Corso A. & Ientile R. (1994). La Collezione ornitologica Alessandro Rizza del Liceo Classico « T. Gargallo » di Siracusa. Naturalista sicil. XVIII (3-4) : 297-299. • Farnsworth A. (2014). Purple Gallinule Vagrancy in the North Atlantic, November 2013-February 2014. BirdCast 12 février 2014, The Cornell Lab. • Glutz von Blotzheim U.N., Bauer K.M. & Bezzel E. (1973). Handbuch der Vögel Mitteleuropas. Band 5 Galliformes und Gruiformes. Akademische Verlagsgesellschaft, Frankfurt am Main. • Haftorn S. (1971). Norges Fugler. Universitetsforlaget, Oslo. • Hudson N. and the Rarities Committee (2009). Report on rare birds in Great Britain in 2008. British Birds 102 : 528-601. • Hudson N. and the Rarities Committee (2012). Report on rare birds in Great Britain in 2011. British Birds 105 : 556-625. • Lahlafi T.S. (2014). First record of American Purple Gallinule for Morocco. MaghrebOrnitho 18 novembre 2014. • Piccioli R. & Rosi R. (1994). Vecchia cattura di un Pollo sultano della Martinica, Porphyrula martinica, in una zona umida salmastra alla periferia della Spezia. Riv. Ital. Orn. 63 : 227-229. • Silbernagl H. P. (1982). Seasonal and spatial distribution of the American Purple Gallinule in South Africa. Ostrich 53 : 236-240.• Suddaby D. (2014). Rarity finders : American Purple Gallinule, Belmullet. BirdGuides 05/02/2014. • West R.L. & Hess G.K. (2020). Purple Gallinule (Porphyrio martinica). InPoole A.F. & Gill F.B. (eds), Birds of the World. Cornell Lab of Ornithology, Ithaca. • Whitehead T. & Waite S.(2011). Rarity finders: American Purple Gallinule, Devon. BirdGuides 26/01/2011. • Winkler R. (1999). Avifaune de Suisse. Nos Oiseaux, supplément 3. • Zino F., Biscoito M.J. & Zino P.A. (1995). Birds of the Archipelago of Madeira and the Selvagens : new records and checklist. Bol. Mus. Mun. Funchal 47 (262) : 63-100.

Citation recommandée : Duquet M. (2025). Première mention française de la Talève violacée. Post-Ornithos (marcduquet.com) 2 : e2025.02.09.