Rechercher le Martinet cafre nicheur en France continentale
Originaire d’Afrique tropicale (de la Sénégambie à la Somalie) et australe (de la Tanzanie à l’Afrique du Sud et du sud du Gabon au centre de la Namibie), le Martinet cafre Apus caffer a étendu son aire de répartition vers le nord au milieu du xxe siècle, jusqu’à atteindre le sud du Paléarctique occidental (Chantler & Boesman 2020, Cramp & Simmons 2020). D’après les trajets enregistrés par des oiseaux équipés de géolocalisateurs, les zones d’hivernage des individus nichant dans le sud de l’Espagne se situent en Afrique de l’Ouest, entre le sud de la Guinée, l’est de la Sierra Leone et le nord du Libéria (Lomas Vega et al. 2019).

Expansion de l’espèce dans le Paléarctique occidental
Des martinets « à croupion blanc » ont été découverts dans le sud de l’Espagne, à Zahara de los Atunes (Andalousie), au début des années 1960 : 3 individus le 21 juin et le 4 août 1964, 1 individu les 5 et 8 août de la même année, puis 1-3 individus du 27 mai au 28 septembre 1965 (Brudenell-Bruce 1966). Ils avaient alors été identifiés par erreur comme étant des Martinets des maisons Apus affinis, une espèce nicheuse au Maroc juste de l’autre côté du détroit de Gibraltar. Au cours de l’été 1966, trois cas de nidification dans des nids d’Hirondelle rousseline furent observés près de Zahara de los Atunes et de Casa Viejas (Junco & González 1966, Allen & Brudenell-Bruce 1967), mais il faudra attendre la capture d’un individu le 4 juillet 1968 pour que ces oiseaux soit enfin identifiés comme étant des Martinets cafres (Junco & González 1969). Au cours des six dernières décennies, la population espagnole du Martinet cafre a lentement étendu son aire de répartition vers le nord et l’ouest, et elle poursuit actuellement sa progression dans les régions de Castille-La Manche et de Castille-et-León mais aussi vers l’est de l’Andalousie ; les zones les plus peuplées d’Espagne sont les bastions historiques de l’espèce autour du détroit de Gibraltar ainsi que, désormais, la Sierra Morena et les montagnes du nord de l’Estrémadure (Cuenca 2020, Finlayson 2024).

Suite à la découverte du Martinet cafre dans le sud de l’Espagne, des recherches furent entreprises au Maroc, débouchant sur l’observation d’une trentaine d’individus en juillet 1968 dans le Haut Atlas (Chapman 1969), tandis que la première preuve de nidification ne sera obtenue qu’en 1979 près de Ouarzazate (Blankert 1980).
Observé pour la première fois au Portugal en août 1983, le Martinet cafre y est resté occasionnel jusqu’au début des années 1990. L’espèce a été trouvée nicheuse en 1995 dans la mine de São Domingos (commune de Mértola), dans le Bas Alentejo, où 6 individus furent observés à la mi-juin et où un couple installé dans un nid d’Hirondelle rousseline fut découvert fin juillet (Moore 1996). En 1996 et 1997, un couple y nicha de nouveau, une fois dans le même nid, une fois dans un autre, distant de 500 m (Moore 1998). Aujourd’hui, bien qu’il ne soit commun nulle part au Portugal et même rare dans la moitié côtière du pays, le Martinet cafre se reproduit régulièrement dans le bassin du Guadiana, en particulier dans le Bas Alentejo et le nord-est de l’Algarve ; son aire de répartition s’est considérablement étendue vers le nord, dans le bassin du Tage (Beira intérieure) et du Douro (Beira Alta), de même que vers l’ouest de l’Algarve (Barlavento). La population portugaise est évaluée à 50-100 couples (Elias 2022).

Le Martinet cafre a été découvert au printemps 2020 en Calabre, dans l’extrême sud de l’Italie. À deux reprises cette année-là, un couple a niché avec succès dans un nid d’Hirondelle rousseline construit dans une grotte de l’arrière-pays de Crotone ; en 2021 et 2022, deux couples nicheurs étaient notés sur le site (Pucci et al. 2022). C’est actuellement le seul site occupé en Italie, en dépit de recherches dans de nombreux secteurs où niche l’Hirondelle rousseline (Andrea Corso in litt.).
En France, les deux premières mentions du Martinet cafre ont été obtenues le 26 juin 2011 à Lespignan, Hérault (Kayser & Clément 2013) et le 17 juin 2016 près d’Arles, Bouches-du-Rhône (Reeber et al. 2018). L’année 2020 marque un tournant avec : 1) l’observation de deux oiseaux en migration active à Leucate (Aude), l’un le 3 et l’autre le 15 mai ; 2) le stationnement d’un individu visitant des nids d’Hirondelle rousseline du 14 juillet au 15 août à Minerve (Hérault) ; 3) la découverte de 3 individus le 28 juillet à Palasca, dans le nord de la Corse. Après une année 2021 sans aucune donnée, un Martinet cafre est revu du 8 juillet au 12 août 2022 dans la gorge de Minerve, laissant espérer une nidification future sur ce site… Mais c’est en Corse que la première reproduction française de l’espèce sera obtenue en 2022 (Seguin 2023), une découverte exceptionnelle à plus d’un titre : tout d’abord en raison de la présence de 3 couples nicheurs sur le site, ensuite parce que c’est la donnée de nidification la plus septentrionale (42,65°N) jamais enregistrée et, enfin, car c’est le premier cas de reproduction insulaire dans le Paléarctique (et seulement le troisième au monde, les deux précédents provenant de Tanzanie). Sur le site de Minerve (Hérault), un Martinet cafre a de nouveau été observé du 22 juin au 13 août 2023, puis du 15 juillet au 11 août 2024, mais il reste solitaire… tandis qu’en Corse, la nidification a de nouveau été prouvée à Palasca en 2023 (Seguin et al. 2024) ; en 2024, 2 couples étaient présents et un couple était déjà revenu sur le site à la date du 10 juin 2025 (J.-F. Seguin in litt.). Le 12 mai 2025, un Martinet cafre a de nouveau été vu en migration à Leucate (Aude), ce qui m’a incité à écrire cet article, afin d’orienter les recherches et de trouver éventuellement la première nidification de l’espèce en France continentale…
Où, quand et comment rechercher la nidification de l’espèce ?
Le Martinet cafre est un « parasite de nid », qui, en Europe, utilise essentiellement ceux de l’Hirondelle rousseline, qu’ils soient vacants ou occupés par cette dernière, qu’il n’hésite alors pas à expulser (Barrios 1994, Seguin et al. 2024) ; en Espagne, au moins deux cas d’utilisation d’un nid d’Hirondelle de fenêtre ont également été observés, mais cela reste très rare (Barrios 2004). Compte tenu de cette relation de dépendance vis-à-vis de l’Hirondelle rousseline, le Martinet cafre est à rechercher dans les zones où cette hirondelle est nicheuse et en densité élevée. La carte de nidification certaine de l’Hirondelle rousseline ci-après montre qu’en France ces régions sont principalement le massif des Albères et les contreforts des Pyrénées (Pyrénées-Orientales), les Corbières (Aude), le Minervois et les coteaux du Languedoc (Hérault), l’arrière-pays gardois (Gard) et, secondairement, le massif des Maures (Var).


En Espagne, la période de présence du Martinet cafre s’étend de début mai à octobre, avec une migration postnuptiale sensible de mi-août à mi-octobre à Gibraltar et l’observation de quelques retardataires jusqu’à début décembre (Chantler & Boesman 2016). Au Portugal, Elias (2022) indique que l’espèce arrive assez tard, rarement avant la fin mai et qu’elle y reste jusqu’en août ou septembre. En France, les cinq observations printanières d’oiseaux en migration sont comprises entre le 3 mai et le 26 juin, tandis que des individus cantonnés ou nicheurs ont été notés essentiellement de la dernière décade de juin à la fin du mois d’août, les dernières mentions ayant toutes été obtenues avant la mi-septembre.
Sous nos latitudes, la nidification de l’espèce est typiquement estivale – dès fin mai en Espagne, mais principalement de fin juin à août – et compte deux nichées consécutives, si bien que les couples fréquentent encore les sites de nidification fin août-début septembre : envol des jeunes jusqu’à la première décade de septembre en Corse (Seguin 2023, Seguin et al. 2024), et même à la fin de ce mois en Italie (Pucci et al. 2022).
Le Martinet cafre garnit les nids d’Hirondelle rousseline avec des plumes blanches, qui sont alors visibles à l’entrée du tunnel d’accès. Il est donc très facile de savoir qu’un nid est occupé par l’espèce. Ces plumes auraient pour fonction d’empêcher les hirondelles d’accéder à leur nid (Chantler & Boesman 2020), mais aussi de signaler à un partenaire potentiel que le nid est disponible (Finlayson 2024).

Repérer et identifier le Martinet cafre
Plus petit et plus fin que le Martinet noir, le Martinet cafre se distingue à ses ailes plus effilées et à sa queue plus longue ; celle-ci est très pointue quand elle fermée et profondément fourchue quand elle est entrouverte, rappelant par moments la queue en « pince de forficule » de l’Hirondelle rousseline. Par rapport au Martinet noir, les battements d’ailes sont plus incisifs et plus rapides. En vol battu, les ailes sont tenues au-dessus de l’horizontale, et sont légèrement tombantes quand l’oiseau plane.



De dessus, la coloration générale est très sombre, mais le corps paraît d’un noir plus marqué que les ailes. Ces parties supérieures noirâtres font ressortir la petite tache blanche du croupion, qui est visible dès que l’oiseau vire, mais elle n’est pas perceptible de dessous, car elle ne descend pas sur les flancs comme chez le Martinet des maisons.
La face inférieure des ailes (bras surtout) et de la queue est sensiblement plus pâle que le corps, noir de jais (coloration uniformément sombre chez le Martinet noir). La tache blanche à la gorge est très bien délimitée : elle n’est pas très large mais se prolonge loin vers la poitrine. Le bord de fuite blanchâtre des secondaires nécessite certaines conditions d’observation pour être perçu (de dessus avec un bon éclairage mais aussi, étonnament, de dessous à contre-jour).



Comme les autres martinets, le Cafre ne présente pas de dimorphisme sexuel, et les différences entre juvéniles et adultes sont subtiles (filets un peu moins longs à la queue, liserés blanchâtres aux grandes couvertures et aux couvertures primaires chez les juvéniles), ce qui rend difficile, voire impossible, la détermination de l’âge.
La voix du Martinet cafre est plus grave et plus râpeuse que celle du Martinet noir (XC426255) et certains cris de l’espèce comportent des notes finales typiques claquantes (XC677525), rappelant les jacassements de la Pie bavarde.
Conclusion
Il est vraisemblable que l’expansion du Martinet cafre vers le nord conduira prochainement l’espèce à nicher sur le pourtour méditerranéen français. Depuis 2020, le stationnement estival d’un individu dans l’Hérault laisse espérer qu’un couple y nichera bientôt… peut-être cette année. Si vous voulez rechercher le Martinet cafre en France continentale, les mois de juillet et août sont de toute évidence les plus favorables et les secteurs à prospecter en priorité sont les zones de collines de l’arrière-pays du Languedoc-Roussillon, exclusivement les secteurs où l’Hirondelle rousseline est commune. Bonne chance à ceux qui tenteront l’aventure cet été !
Références : • Allen F.G.H. & Brudenell-Bruce P.G.C. (1967). The White-rumped Swift Apus affinis in Southern Spain. Ibis 109 : 113-115. • Barrios F. (1994). Primeros datos sobre la reproducción del vencejo cafre en España. Quercus 95 : 6-8. • Barrios F. (2004). Vencejo Cafre, Apus caffer. In Madroño A., González C. & Atienza J.C. (ed.), Libro Rojo de las Aves de España. Madrid, Direccion General para la Biodiversidad-SEO/BirdLife : 293-294. • Blankert H. (1980). Breeding of White-rumped Swift Apus caffer east of Ouarzazate, Morocco. Dutch Birding 1(4) : 115. • Brudenell-Bruce P.G.C. (1966). Presencia de Vencejo Culiblanco (Apus affinis) en la provincia de Cádiz. Ardeola 11 : 156. • Chantler P. & Boesman P.F.D. (2020). White-rumped Swift (Apus caffer). In del Hoyo J., Elliott A., Sargatal J., Christie D.A. & de Juana E. (eds), Birds of the World. Cornell Lab of Ornithology, Ithaca. • Chapman K.A. (1969). White-rumped Swifts in Morocco. British Birds 62 : 337-339. • Cramp S. & Simmons K.E.L. (2020). BWP : Birds of the Western Palearctic app. NatureGuides Ltd. • Cuenca D. (2020). Apus caffer White-rumped Swift. In Keller V., Herrando S., Vorisek P. et al. (eds), European Breeding Bird Atlas 2: Distribution, Abundance and Change. Barcelona, EBCC & Lynx Edicions : 200. • Elias G. (2022). Apus caffer Andorinhão-cafre. In Godhino C. (coord.), III Atlas das Aves Nidificantes de Portugal (2016-2021). SPEA, ICNF, LabOr/UÉ, IFCN. Portugal. • Finlayson C. (2024). Avian squatters ath the end of Europe. 10,000 Birds, 16 June 2024. • Junco O. & González B. (1966). Una nueva especie para la avifauna europea : Apus affinis. Ardeola 12(1) : 5-9. • Junco O. & González B. (1969). La nueva especie de Vencejo en el Paleárctico : Apus caffer. Ardeola 13 : 115-127. • Kayser Y. & Clément D. (2013). Un Martinet cafre Apus caffer dans l’Hérault en juin 2011 : première mention française. Ornithos 20-3 : 188-191. • Lomas Vega M., Willemoes M., Arizaga J., Onrubia A., Cuenca D., Alonso D., Torralvo C., Tøttrup A.P. & Thorup K. (2019). Migration strategies of Iberian breeding White-rumped Swifts Apus caffer, Rufous-tailed Scrub-robins Cercotrichas galactotes and Bluethroats Cyanecula svecica. Ardeola 66 : 51-64. • Moore C.C. (1996). Nidificação de andorinhão-cafre em Portugal. Pardela 2 : 20-21. • Moore C.C. (1998). Breeding of White-rumped Swift in Portugal. Dutch Birding 20-6 : 288-290. • Pucci M., Candelise G. & Storino P. (2022). Prima nidificazione di Rondone cafro Apus caffer in italia. Alula 29(1-2) : 140-143. • Reeber S., Blanc J.-F., Jiguet F. & le CHN (2018). Les oiseaux rares en France en 2016 et 2017. 34e rapport du Comité d’Homologation National. Ornithos 25-6 : 321-369. • Seguin J.-F. (2023). Le Martinet cafre Apus caffer nicheur en Corse en 2022 : une nouvelle espèce pour la France. Ornithos 30-2 : 78-81. • Seguin J.-F., Piacentini J. & Thibault J.-C. (2024). Comportement antagoniste entre le Martinet cafre Apus caffer et l’Hirondelle rousseline Cecropis daurica en Corse. Ornithos 31-5 : 308-311.
Je tiens à remercier Andrea Corso (Italie) et Jean-François Seguin, Joseph Piacentini et Jean-Claude Thibault (Corse) pour les informations récentes qu’ils m’ont fournies.
Citation recommandée : Duquet M. (2025). Rechercher le Martinet cafre nicheur en France continentale. Post-Ornithos (marcduquet.com) 2 : e2025.06.12.

