Rechercher l’Engoulevent à collier roux en France

L’Engoulevent à collier roux Caprimulgus ruficollis compte deux sous-espèces : 1) ruficollis, qui niche dans la péninsule Ibérique (Portugal et Espagne) et dans le nord du Maroc ; 2) desertorum, qui est présente dans le nord-est du Maroc, le nord de l’Algérie (au sud jusqu’à l’Atlas saharien) et le nord de la Tunisie.
La sous-espèce nominale quitte ses zones de nidification ibériques à la fin du mois d’octobre ou en novembre et migre par le détroit de Gibraltar et la côte marocaine jusqu’en Afrique de l’Ouest (Sénégal, Gambie, Mali et plus au sud jusqu’en Côte-d’Ivoire et au Ghana), où elle hiverne. Les retours printaniers s’effectuent de mars à début mai sur un large front, de la Mauritanie au Sahara occidental et à l’ouest de l’Algérie (Cleere et al. 2020), les nicheurs ibériques arrivant sur leurs zones de reproduction dès la fin avril (Cramp & Simmons 2020).
Des égarés sont signalés hors de l’aire de nidification de l’espèce, sur les îles atlantiques (Madère, Canaries) et méditerranéennes (Baléares, Sicile, Malte), et jusqu’en Grande-Bretagne (octobre 1856 ; Hancock 1862a, 1862b) et au Danemark (octobre 1991 ; Christensen 1996, Rasmussen 1996). La majorité concerne des oiseaux appartenant à la sous-espèce ruficollis (Cleere et al. 2020), y compris les deux mentions les plus nordiques (Cleere 2001, Melling 2009), seules les données de Sicile et de Malte se rapportant à desertorum, d’Afrique du Nord (Holyoak 2001).

Pour la France, Cleere et al. (2020) évoquent une seule mention, celle d’un oiseau trouvé mort dans les Bouches-du-Rhône en juin 1997, mais il s’agit-là seulement de la première mention contemporaine de l’espèce. En effet, Dubois et al. (2008) citent cinq captures au XIXe siècle (à Marseille en 1820 et 1850, dans le Gard et près de Montpellier, Hérault, à la fin des années 1830, et à Châlons-en-Champagne, Marne, le 15 novembre 1851), et plusieurs autres données ont été obtenues depuis (voir ci-après). De plus, l’espèce étant présente en Catalogne, aux portes des Pyrénées-Orientales, l’Engoulevent à collier roux pourrait nicher à l’occasion dans le massif des Albères, entre Cerbère, Collioure et le Boulou… Cet article fait le point sur la répartition géographique et chronologique des données françaises, afin d’orienter la recherche printanière de l’espèce.
L’Engoulevent à collier roux en France
On dénombre 12 mentions d’Engoulevent à collier roux en France de 1997 à 2024, toutes en provenance du sud du pays et la plupart bien documentées (photos, enregistrements, captures, oiseaux trouvés morts…). Voici la liste de ces données, classées d’ouest en est :
• Ariège – Un individu le 2 juin 2002 à Cadarcet. Cette donnée issue du portail OpenObs de l’INPN (Inventaire national du patrimoine naturel) a été obtenue dans le cadre du programme STOC-EPS et ne précise pas s’il s’agit d’un contact seulement auditif, mais le lieu et la date sont cohérents, en raison de la présence de l’espèce de l’autre côté de la frontière franco-espagnole.
• Pyrénées-Orientales – Un individu photographié le 4 juin 2020 à Port-Vendres, dans un habitat propice à l’espèce et proche des nicheurs espagnols ; il était accompagné d’un deuxième engoulevent non identifié spécifiquement. Le secteur est le plus propice à la découverte de la nidification de l’espèce en France. Celle-ci a déjà été recherchée sans succès les 12 et 13 mai 2017 dans le secteur du Boulou, le 27 mai 2021 autour de Port-Vendres et le 18 juin 2021 près de Baixas, mais les cartes du récent atlas espagnol montrent une expansion de l’Engoulevent à collier roux vers le nord en Catalogne (Ponce 2022).
• Aude – Un individu vu et photographié le 17 mai 2017 à Gruissan ; non revu le lendemain.




• Hérault – Un oiseau près de Vic-la-Gardiole le 22 avril 2019.
• Drôme – Un individu trouvé mort sur la route le 28 mai 2005 à Tulette ;
• Bouches-du-Rhône – Un individu le 12 juin 1997 à Mas-Blanc-des-Alpilles ; un individu chante 5 minutes puis part vers l’ouest le 14 juin 2004 au nord-ouest de Saint-Martin-de-Crau, sur la commune d’Arles ; un chanteur du 10 au 15 juin 2007 dans le vallon d’En Vau sur la commune de Marseille, à l’ouest de Cassis ; un mâle présent du 12 au 16 avril 2008 (capturé le 13 avril) en Camargue dans le secteur de Piémanson, sur la commune d’Arles ; un individu le 4 mai 2015 au Grau de la Comtesse, sur la commune des Saintes-Maries-de-la-Mer ; un individu du 27 avril au 5 mai 2024 autour des bassins de décantation des Saintes-Maries-de-la-Mer.



• Var – Un individu capturé le 18 avril 2016 sur l’île de Porquerolles, au large d’Hyères, lors d’un camp de baguage de l’association SCOPS.
• Corse – Un engoulevent observé les 26 et 31 juillet 2021 à Pianottoli-Caldarello (Corse), 15 km au nord-ouest de Bonifacio, a été saisi sur Faune France en tant qu’Engoulevent à collier roux, avec deux photos de l’oiseau en vol. Mais l’observateur a précisé qu’il n’était absolument pas certain de son identification et qu’il publiait cette donnée par sécurité, au cas où elle intéresserait des gens. La date estivale de cette donnée sort sensiblement du cadre des autres mentions françaises et l’examen des photos, une fois éclaircies, montre que la longueur relative des trois primaires les plus externes (P8, P9 et P10) ainsi que la taille et la position des taches blanches sur ces plumes correspondent à un Engoulevent d’Europe et non à un Engoulevent à collier roux ! (Je publierai prochainement un article sur l’identification de l’espèce, comportant des critères non décrits dans les guides ornithos et permettant de différencier de façon simple, fiable et objective l’Engoulevent à collier roux de l’Engoulevent d’Europe, même sur des photos fortement sous-exposées d’oiseaux en vol.)

Où et quand rechercher l’Engoulevent à collier roux ?
Où ? – Une analyse rapide des données françaises permet de préciser les meilleurs secteurs et la période la plus favorable pour rechercher l’espèce. La carte montre ainsi une répartition essentiellement méditerranéenne des observations, des Pyrénées-Orientales au Var, ce qui était attendu, mais, étonnamment, c’est le département des Bouches-du-Rhône qui fournit le plus de mentions (la moitié des données françaises !), peut-être en lien avec une plus forte pression d’observation qu’ailleurs sur le pourtour méditerranéen, notamment en Camargue (3 mentions). Il est intéressant de constater aussi que les observations proviennent majoritairement de secteurs littoraux, ce qui laisse penser que cela concerne des oiseaux venant de traverser la Méditerranée depuis l’Afrique… Les zones arrière-littorales et les lidos semblent donc des secteurs à prospecter de façon prioritaire.

Quand ? – Les données françaises contemporaines se répartissent entre la deuxième semaine d’avril et la mi-juin, la première quinzaine de juin totalisant 5 données, qui inclut les deux seules mentions faisant état d’individus chanteurs – 14 juin 2004 et 10-15 juin 2007 dans les Bouches-du-Rhône. La recherche d’individus ayant dépassé leur aire de nidification doit donc être faite en priorité à partir de la dernière décade d’avril et jusqu’au début du mois de juin.

Nidification en France ? – Pour ce qui est de la recherche d’éventuels oiseaux nicheurs, elle devrait être orientée prioritairement dans le massif des Albères, Pyrénées-Orientales, où paradoxalement, aucun chanteur n’a, à ce jour, été entendu, en dépit de la proximité avec les sites de nidification espagnols (Catalogne) de l’espèce et de plusieurs soirées de prospection organisées en 2017 et 2021…
C’est à son chant typique, un potock… potock… potock… répétitif (écoutez-le ci-dessous), que l’espèce est la plus facile à détecter. Les écoutes nocturnes devront être idéalement effectuées entre début mai et la première décade de juillet, période qui regroupe l’essentiel (87 %) des 85 enregistrements de chant figurant sur xeno-canto (en ne prenant en compte que ceux de la péninsule Ibérique, et en comptabilisant une seule donnée dans le cas d’enregistrements multiples un même soir par un même observateur). Elle correspond parfaitement à la saison de reproduction de l’espèce en Espagne (Cuadrado & Dominguez 1996), mais Reino et al. (2015) notent toutefois que le chant de l’espèce est plus fréquent de la fin du printemps au début de l’été, soit en mai et juin (à l’inverse de l’Engoulevent d’Europe).
Selon Cleere et al. (2020), qui citent Beven (1973), le mâle commence à chanter généralement 30 minutes après le coucher du soleil ou un peu avant, et il est audible jusqu’à 400 m environ (Bergmann & Helb 1982). Suetens (1990) précise que l’espèce chante durant les deux ou trois premières heures d’obscurité et que le chant reprend au petit matin, avant l’aube. Par ailleurs, Reino et al. (2015) ont démontré que l’activité vocale de l’Engoulevent à collier roux était fortement dépendante de la température ambiante et de la luminosité : ainsi, la fraîcheur nocturne et une forte obscurité réduisent-elles sensiblement l’activité de l’espèce, tandis que celle-ci est maximale lorsque le cycle lunaire est proche de la pleine lune et que le ciel est dégagé, des éléments importants à prendre en compte pour l’organisation de soirées de prospection.
Conclusion
En résumé, c’est sur les zones littorales de la Méditerranée (surtout de l’Aude à la Camargue) et entre la fin avril et le début du mois de juin que la probabilité de trouver un Engoulevent à collier roux égaré en France est la plus grande, tandis que la recherche d’éventuels nicheurs devra plutôt être effectuée dans les Pyrénées-Orientales (et l’arrière-pays provençal ?) en mai et juin, en début de nuit et, idéalement, par temps doux, ciel dégagé et nuit claire, liée à une Lune pleine ou presque. Bonne chance !

Références : • Bergmann H.-H. & Helb H.-W. (1982). Stimmen der Vögel Europas : Gesänge und Rufe von über 400 Vogelarten in mehr als 2000 Sonagrammen. BLV Verlagsgesellschaft, Munich. • Beven G. (1973). Studies of less familiar birds. 171 Red-necked Nightjar. British Birds 66 : 390-396. • Christensen R. (1996). A Red-necked Nightjar in Denmark. Birding World 9 : 152. • Cleere N. (2001). The identity of the British record of Red-necked Nightjar. British Birds 94 (8) : 393. • Cleere N., Kirwan G.M., Christie D.A. & de Juana E.(2020). Red-necked Nightjar (Caprimulgus ruficollis). In del Hoyo J., Elliott A., Sargatal J., Christie D.A. & de Juana E. (eds), Birds of the World. Cornell Lab of Ornithology, Ithaca. • Cramp S. & Simmons K.E.L. (2020). BWP : Birds of the Western Palearctic app. NatureGuides Ltd. • Cuadrado M. & Dominguez F. (1996). Phenology and breeding success of Red-necked Nightjar Caprimulgus ruficollis in southern Spain. Journal of Ornithology 137 : 249-253. • Dubois P.J., Le Maréchal P., Olioso P. & Yésou P. (2008). Nouvel inventaire des oiseaux de France. Delachaux et Niestlé, Paris. • Hancock J. (1862a). Notice on the occurrence of the Red-necked Goatsucker (Caprimulgus ruficollis) in England. Ibis 4 (13-16) : 39-40. • Hancock J. (1862b). Occurrence of Caprimulgus ruficollis in England. The Zoologist 20 : 7936-7937. • Holyoak D.T. (2001). Nightjars and Their Allies: The Caprimulgiformes. Oxford University Press, Oxford. • Melling T. (2009). Should Red-necked Nightjar be on the British List ? British Birds 102 (3) : 110-115. • Ponce C. (2022). Chotacabras cuellirrojo. In Molina B., Nebreda A., Muñoz A.R., Seoane J., Real R., Bustamante J. & del Moral J.C. (eds), III Atlas de las aves en época de reproducción en España. SEO/BirdLife. Madrid. • Rasmussen P.A.F. (1996). Sjældne fugle i Danmark og Grønland i 1994 [Rare birds in Denmark and Greenland in 1994]. Dansk Orn. Foren. Tidsskr. 90 : 141-152. • Reino L., Porto M., Santana J. & Osiejuk T.S. (2015). Influence of moonlight on nightjars’ vocal activity: a guideline for nightjar surveys in Europe. Biologia 70/7 : 968-973.
Citation recommandée : Duquet M. (2025). Rechercher l’Engoulevent à collier roux en France. Post-Ornithos (marcduquet.com) 2 : e2025.04.19.
