Statut des pies-grièches de France (I) : la Pie-grièche écorcheur et la Pie-grièche à tête rousse

3/11/2025 : le statut de la Pie-grièche écorcheur en Bretagne a été mis à jour…

Pie-grièche écorcheur, femelle, Pologne, juin 2025 (© Marcin Dyduch)

Le Plan National d’Actions 2025-2034 en faveur des pies-grièches (Hervé et al. 2025) a été publié en avril 2025. Il fait le point sur le statut des cinq espèces nichant ou ayant niché en France, à savoir la Pie-grièche écorcheur, la Pie-grièche à tête rousse, la Pie-grièche grise, la Pie-grièche méridionale et la Pie-grièche à poitrine rose, cette dernière étant officiellement considérée comme disparue depuis 2020 (dernière reproduction en 2019). Voici un résumé du statut et de l’état de santé des populations françaises de pies-grièches, fondé en grande partie sur ce PNA (Hervé et al. 2025). Ce premier volet traite des deux petites pies-grièches : la Pie-grièche écorcheur et de la Pie-grièche à tête rousse.

La Pie-grièche écorcheur Lanius collurio
L’aire de répartition de cette pie-grièche couvre une grande partie de l’Europe, à l’exception du nord de la Fennoscandie, de l’Islande, des îles Britanniques et d’une grande partie de la péninsule Ibérique ; à l’est, elle s’étend dans toute la Sibérie occidentale jusqu’à l’Altaï et en Asie Mineure jusqu’à la Caspienne (Yosef et al. 2020). En Europe, la Pie-grièche écorcheur niche depuis les régions montagneuses du nord du Portugal et de l’Espagne jusqu’à 65° de latitude Nord en Scandinavie. Elle hiverne en Afrique australe, principalement au sud de la Zambie et du Malawi (Cramp & Simmons 2020).

Pie-grièche écorcheur, juvénile, Allemagne, juillet 2018 (© Cayenne Sweeney)
Pie-grièche écorcheur, mâle, Grèce, mai 2025 (© Miles Cluff)

En France, la Pie-grièche écorcheur occupe près des trois quarts du territoire national, mais elle ne niche pas en basse vallée du Rhône ni dans les zones côtières du Languedoc-Roussillon et des Bouches-du-Rhône. Elle est présente de façon sporadique en Bretagne (≈ 20 couples dans les marais de Redon et une dizaine dans les monts d’Arrée), dans le Pas-de-Calais (quelques couples dans le Boulonnais), dans le Nord (une petite population dans l’Avesnois), en Normandie, dans le nord de la région Centre-Val-de-Loire et dans une grande partie du Sud-Ouest (bassins de la Garonne et de la Dordogne). En Corse, l’espèce est bien présente dans les plaines côtières, aux côtés de la Pie-grièche à tête rousse, mais sa répartition est assez fragmentée à l’intérieur de l’île.
 
La population européenne, qui occupe près de 60% de l’aire de répartition de l’espèce, est estimée entre 8,2 et 13 millions de couples (BirdLife International 2021). Elle est en déclin plus ou moins marqué dans les régions situées dans le nord-ouest de son aire de répartition, en particulier en plaine : en Grande-Bretagne, où elle était répandue dans les années 1940, l’espèce a aujourd’hui quasiment disparu et, en Suède, ses effectifs ont été divisés par deux entre 1970 et 1990 (Lefranc 2004). La population nicheuse européenne a diminué de près de 4% au cours des 10 dernières années.

L’aire de nidification de la Pie-grièche écorcheur a peu évolué depuis les années 1970

 
Selon le programme STOC-EPS, la population française de la Pie-grièche écorcheur affiche une tendance à l’augmentation de près de 30% au cours de la période 2001-2023 et même de 60% de 2013 à 2023. Elle est évaluée à 244100-752000 couples pour la période 2021-2023 (Nabias et al. 2024). Pourtant, le rapportage français de la Directive Oiseaux de 2018 (UMS Patrinat 2019), même s’il annonce des effectifs nicheurs stables à long terme (1988-2017) et une légère extension (entre 1 et 5%) de l’aire de répartition de l’espèce dans notre pays entre 1985 et 2017, indique une régression importante de 20,8% à court terme (2007-2018). La dynamique de l’espèce varie en fait en fonction des régions : en Alsace, par exemple, Muller (2015) signale une diminution de 20% du nombre de couples nicheurs entre 2005 et 2014, tandis qu’en région méditerranéenne, une apparente bonne santé de l’espèce et même une avancée de son aire de répartition vers les plaines littorales sont notées, et autour d’Angers (Maine-et-Loire), les effectifs de l’espèce sont en augmentation au cours des années 1990-2000 (Mourgaud & Logeais 2012). Au niveau européen, en dépit du déclin observé au cours des dernières années, la Pie-grièche écorcheur est classée en catégorie Préoccupation mineure (LC), en raison de son aire de répartition étendue et de ses effectifs mondiaux qui restent importants (BirdLife International 2021, 2022). En France, l’espèce est toutefois considérée comme étant Quasi menacée (NT) sur la liste rouge des espèces menacées en France (UICN France et al. 2016) et a même été inscrite en catégorie Vulnérable (VU) en Île-de-France, dans le Nord-Pas-de-Calais, en Franche-Comté et en Alsace.

Pie-grièche à tête rousse, mâle, Espagne, avril 2025 (© David Santamaría Urbano)

La Pie-grièche à tête rousse Lanius senator
Couvrant tout le pourtour méditerranéen, sauf l’Égypte, l’aire de répartition de la Pie-grièche à tête rousse mondiale coïncide globalement avec celle de l’olivier ; elle s’étend toutefois plus au nord en Europe de l’Ouest, notamment en France et dans le sud de l’Allemagne. C’est la sous-espèce senator qui niche en Europe continentale, de l’Espagne à l’ouest de la Turquie, et de l’Afrique du Nord à l’Afrique centrale, tandis que les îles de Méditerranée occidentale (Baléares, Capraia, Corse, Sardaigne) accueillent la sous-espèce badius, qui a moins de noir au front et quasiment pas de tache blanche aux primaires ; plus à l’est, à Chypre, dans le sud et l’est de la Turquie et du Proche-Orient jusqu’au Caucase et à l’Iran, niche la sous-espèce nilotica, qui se caractérise par une très grosse tache primaire blanche et la base de la queue blanche (Yosef & ISWG 2020). Les bastions européens de la Pie-grièche à tête rousse se situent dans la péninsule Ibérique (Espagne surtout), en Grèce et en Bulgarie (BirdLife International 2021).

Pie-grièche à tête rousse, femelle, Espagne, mars 2025 (© Jesus Carrion Piquer)
Pie-grièche à tête rousse, juvénile, Espagne, septembre 2022 (© Miguel Rouco)

En France, la Pie-grièche à tête rousse est présente au sud d’une ligne reliant la Vendée aux Ardennes, où elle niche principalement dans les régions de plaine et de collines ensoleillées. Les populations non méditerranéennes les plus importantes se trouvent dans une zone couvrant la Nièvre, l’ouest de la Saône-et-Loire et de la Côte-d’Or, le nord de l’Allier et le sud du Cher. Dans le Nord-Est, des petits noyaux de populations sont recensés entre la Meurthe-et-Moselle et les Vosges, d’une part, et en Haute-Marne, d’autre part. Dans le centre-ouest, l’espèce est surtout présente à cheval entre la Vienne et la Haute-Vienne, ainsi que dans les Deux-Sèvres. Mais ses bastions nationaux se situent en zone méditerranéenne, des Pyrénées-Orientales au Gard et au sud de l’Ardèche. Sa répartition est plus sporadique en région Provence-Alpes-Côte d’Azur, où elle niche surtout dans les garrigues. Par ailleurs, quelques petites populations sont disséminées en Charente, Gironde et Dordogne, et dans le Cantal et l’Aveyron. En Corse, la sous-espèce badius est peu fréquente dans les terres et niche surtout dans les régions côtières. 

L’aire de nidification de la Pie-grièche à tête rousse s’est rétractée vers le sud depuis les années 1970

Depuis les années 1960, l’espèce est en déclin en Europe moyenne, où son aire de répartition s’est rétractée vers le sud ; il en est de même en France. À la fin du XIXe siècle, l’espèce nichait jusqu’en Bretagne (Morbihan) et en Normandie (Seine-Maritime, Eure), et elle était beaucoup plus fréquente dans les régions septentrionales de son aire (Lefranc 1993). Au cours du XXe siècle, cette pie-grièche a progressivement reculé vers le sud-est, avec une forte accélération à partir des années 1960. Elle a ainsi disparu de la majeure partie du Grand Est, alors qu’elle était encore présente dans tous les départements alsaciens et lorrains et dans l’est de la Champagne-Ardenne au début des années 1970. Elle a également disparu de la façade atlantique et s’est considérablement raréfiée dans le sud du Massif central et dans la vallée du Rhône. Parallèlement à ce recul de la répartition de l’espèce, on note une chute globale de ses effectifs (entre -20 et -50% pour la période 1980-2012 et -22% de 2001 à 2017), tout particulièrement dans les zones en marge de l’aire de nidification. Alors que la population nationale était évaluée à 6900-12700 couples en 1993-1994, elle n’en compterait plus que 3200-5500 aujourd’hui. Les départements côtiers du Languedoc-Roussillon hébergent désormais près de la moitié de la population nationale. En conséquence, la Pie-grièche à tête rousse a été classée en catégorie Quasi menacée (NT) au niveau européen et mondial, mais demeure en catégorie Vulnérable (VU) en France, où seule la sous-espèce badius est considérée comme Quasi menacée.

Pie-grièche écorcheur, mâle, Espagne, mai 2023 (© Manuel Segura Herrero)

Menaces pesant sur les pies-grièches
Sur leurs zones de nidification européennes, les pies-grièches souffrent globalement du déclin de l’agriculture traditionnelle – polyculture et élevage extensif de bovins et d’ovins –, qui entraîne soit une fermeture (forêts), soit une ouverture extrême (monocultures, agriculture intensive) des paysages par élimination des haies, des arbres isolés et des vergers, donc une réduction des habitats semi-ouverts dont elles dépendent (Barry & Polvêche 2022, Pointereau & Coulon 2006). Réalisés en période de nidification, l’entretien des haies constitue également une importante cause d’échec des nichées. Il en est de même de l’écobuage et de la gestion de la végétation des fossés par le feu, qui entraînent la suppression de nombreux ronciers favorables aux pies-grièches. L’usage «préventif» de médicaments antiparasitaires (ivermectine, deltametrine, eprinomectine, cyperméthrine, abamectine, doramectine et moxidectine) pour le traitement du bétail constitue une menace indirecte pour les pies-grièches. En effet, certaines molécules utilisées se retrouvent au sein des déjections animales et conservent leurs propriétés insecticides pendant parfois plusieurs semaines, détruisant les insectes coprophages et coprophiles (diptères et coléoptères principalement) que consomment les pies-grièches (Verdú et al. 2015, 2018). Lors de leurs migrations, les Pies-grièches écorcheur et à tête rousse sont également victimes du piégeage et de la chasse sur le pourtour méditerranéen, notamment à Malte, à Chypre, au Maghreb et au Proche-Orient (Eason et al. 2016, Raine et al. 2021). 

Mesures de protection
Les principales actions de conservation menées en France sont consacrées au maintien des habitats (sensibilisation du monde agricole et des services chargés de l’entretien des milieux, création d’espaces protégés, comme les ENS, Espaces naturels sensibles) et à leur restauration (replantation de haies et d’arbres fruitiers, réouverture de milieux méditerranéens). Des actions d’information sont également menées auprès des éleveurs, visant à promouvoir un usage raisonné des produits antiparasitaires. Espérons que l’ensemble de ces mesures permettra aux pies-grièches et aux autres espèces d’oiseaux qui habitent les mêmes milieux bocagers de ne pas disparaître de nos campagnes…

Pie-grièche écorcheur, mâle, France, mai 2014 (© Jérémy Calvo)

Références : • Barry C. & Polvêche V. (2022). « Recensement Agricole 2020 ». Primeur n°13, Ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire. • BirdLife International (2021). European Red List of Birds. Publications Office of the European Union, Luxembourg.  • BirdLife International (2022). IUCN Red List for birds (http://www.birdlife.org). • Eason P., Rabia B. & Attum O. (2016). Hunting of migratory birds in north Sinai, Egypt. Bird Conservation International 26 : 39-51. • Hervé T., Dussouchaud O. & Schmitt L. (2025). Plan National d’Actions en faveur des pies-grièches (Lanius sp.) 2025-2034. Ministère de la Transition Écologique et de la Cohésion des Territoires. • Lefranc N. (2004). La Pie-grièche écorcheur. Éditions Belin, Paris. • Mourgaud G. & Logeais J. (2012). Évolution récente de la population angevine de Pie-grièche écorcheur Lanius collurioCrex 12 : 53-58. • Muller Y. (2015). Bilan de dix années de suivi des indicateurs de la biodiversité en Alsace. Les effectifs de Pie-grièche écorcheur Lanius collurioCiconia 39(2-3) : 96-101. • Nabias J., Barbaro L., Fontaine B., Dupuy J., Couzi L., Vallé C. & Lorrilliere R. (2024). Reassessment of French breeding bird population sizes using citizen science and accounting for species detectability. PeerJ 12 : e17889. • Pointereau P. & Coulon F. (2006). La haie en France : évolution ou régression au travers des politiques agricoles. In Premières rencontres nationales de la haie. Auch, 5, 6 et 7 octobre 2006. • Raine A.F., Hirschfeld A., Attard G.M., Scott L., Ramadan-Jaradi G., Serhal A. & Driskill S. (2021). The international dimension of illegal bird hunting in Lebanon. Sandgrouse 43(2) : 230-240. • UICN France, MNHN, LPO, SEOF & ONCFS (2016). La Liste rouge des espèces menacées en France – Chapitre Oiseaux de France métropolitaine. Paris. • UMS Patrinat (coord.) (2019). Résultats synthétiques de l’évaluation des statuts et tendances des espèces d’oiseaux sauvages en France, période 2013-2018. Rapportage article 12 envoyé à la Commission européenne, juillet 2019. • Verdú J., Cortez V., Ortiz A. , González-Rodríguez E., Pinna J., Lumaret J., Lobo J., Numa C. & Sánchez-Piñero F. (2015). Low doses of ivermectin cause sensory and locomotor disorders in dung beetles. Scientific Reports 5: 13912. • Verdú J., Lobo J., Sánchez-Piñero F, Gallego B., Numa C., Lumaret J. Cortez V., Ortiz A., Tonelli M., García-Teba J., Rey A., Rodríguez A. & Durán J. (2018). Ivermectin residues disrupt dung beetle diversity, soil properties and ecosystem functionning: an interdisciplinary field study. Science of the Total Environment 618 : 219-228. • Yosef R., ISWG & Christie D.A. (2020). Red-backed Shrike (Lanius collurio), version 1.0. In del Hoyo J., Elliott A., Sargatal J., Christie D.A. & de Juana E. (eds), Birds of the World. Cornell Lab of Ornithology, Ithaca.

Un grand merci à Olivier Fontaine et Valentin Heck qui m’ont communiqué des données oubliées par les auteurs du PNA pies-grièches pour le Nord et le Pas-de-Calais, ainsi qu’à Yves Dubois et Philippe J. Dubois qui ont fait de même pour la Bretagne.

Citation recommandée : Duquet M. (2025). Statut des pies-grièches de France (I) : la Pie-grièche écorcheur et la Pie-grièche à tête rousse. Post-Ornithos (marcduquet.com) 2 : e2025.10.23.