Les alcidés du Pacifique vus dans l’Atlantique

Suite à l’observation d’un Guillemot à cou blanc en Islande, j’ai recherché les données d’alcidés du Pacifique observés dans l’Atlantique Nord dont il existe une trace dans la littérature ornithologique afin d’en faire la synthèse. Au total, cela concerne sept espèces : deux stariques (genre Aethia), trois guillemots (deux Brachyramphus et un Synthliboramphus) et deux macareux (Fratercula). Cet article dresse la liste de ces données et évoque les hypothèses avancées sur les trajets suivis par ces alcidés du Pacifique. La plupart des observations présentées ici concernent le Paléarctique occidental et de façon plus restrictive l’Europe, mais quelques-unes proviennent de l’est de la région néarctique, entre le Groenland et les côtes orientales de l’Amérique du Nord.

Macareux huppé (à g.) et Macareux cornu, Colombie-Britannique, août 2023 (© Liron Gertsman)

Liste des données ouest-paléarctiques
 
— Starique cristatelle Aethia cristatella (Crested Auklet)
Niche en mer d’Okhotsk et sur plusieurs îles du Pacifique Nord et de la mer de Béring ; hiverne essentiellement au sud des Aléoutiennes, du nord du Japon (Hokkaido) jusqu’au sud de l’Alaska (île Kodiak) et occasionnellement sur les côtes de Colombie-Britannique (Jones 2020). Il existe deux données certaines de cette espèce dans le Paléarctique occidental – Islande (1912), Groenland (1968-1970).
 
• En 1916, le musée zoologique de Copenhague a été informé qu’un petit alcidé étrange avait été tué aux îles Féroé vers 1912. Un enquêteur dépêché par le musée a alors retrouvé l’oiseau, qui avait été naturalisé. Il s’agissait d’une Starique cristatelle en plumage nuptial, avec une huppe rouge-orangée à la base du bec et une petite plaque cornée au-dessus de chaque commissure. Quelques mois plus tard, le musée a reçu un courrier du capitaine Ole Andreas Christiansen, disant que l’oiseau ne provenait pas des îles Féroé, mais qu’il l’avait tiré à 45 milles marins au large de Langanes, une péninsule au nord-est de l’Islande, entre le 12 et le 20 août 1912, et il précisait les coordonnées du lieu de la « collecte » : 66°48’N, 12°55’O (Hørring 1933).
 
• En 1984, lors d’une visite à ce même musée zoologique de Copenhague, Jon Fjeldså a montré à Spencer Sealy une autre Starique cristatelle, une femelle adulte capturée dans l’ouest du Groenland, probablement près de Nuuk (anciennement Godthåb ; 64°11’N, 5°45’O) entre 1968 et 1972 (Sealy & Carter 2012). Ce spécimen faisait partie d’une petite collection d’oiseaux rares capturés au Groenland et donnés au musée zoologique par J. Kreutzmann en 1972 (Boertmann 1994).

Starique cristatelle, Islande, août 1912
Starique cristatelle, Groenland, 1968-1972
Starique perroquet, Suède, novembre 1860

— Starique perroquet Aethia psittacula (Parakeet Auklet)
Niche en mer d’Okhotsk et de Béring, dans le détroit de Béring et les Aléoutiennes et sur les pointes rocheuses et quelques îles du golfe d’Alaska ; hiverne dans le Pacifique Nord, un peu plus au sud que la Starique cristatelle et plus à l’est également, jusque sur les côtes occidentales de Colombie-Britannique et de Californie (Jones et al. 2020). Une seule donnée connue dans le Paléarctique occidental – Suède (1860).
 
• Un adulte capturé sur le lac Vättern, près de Jönköping, dans le sud de la Suède, en décembre 1860. Cet oiseau a été signalé comme étant une Starique cristatelle par Dalgleish (1880), mais une peinture de l’oiseau publiée dans un magazine cynégétique suédois (Wahlgren 1867) ne laisse aucun doute sur le fait qu’il s’agit bien d’une Starique perroquet, ce que confirme le spécimen naturalisé, qui est conservé au musée d’histoire naturelle de Stockholm (Sealy & Carter 2012).

Guillemot à cou blanc, Alaska, mai 2017 (© Enric Fernandez)

— Guillemot à cou blanc Synthliboramphus antiquus (Ancient Murrelet)
Niche en bordure nord du Pacifique, du nord-est de la Chine à la mer d’Okhotsk, et du sud de la mer de Béring (îles du Commandeur et Aléoutiennes) aux côtes de Colombie-Britannique ; hiverne d’une part du sud de Sakhaline jusqu’à Taïwan et d’autre part de l’est de la péninsule d’Alaska aux rivages de la Californie (Gaston & Shoji 2010). On dénombre quatre mentions de l’espèce en Europe – Grande-Bretagne (1990), Finlande (2021), Espagne (2023), Islande (2025). 
 
Ces données ont été présentées récemment en détail dans un article relatant la dernière observation en Islande (Duquet 2025) :
• un adulte près de l’île Lundy, dans le Devon, au sud-ouest de la Grande-Bretagne du 27 mai au 26 juin 1990, puis du 14 avril au 20 juin 1991 et du 30 mars au 29 avril 1992 (Waldon 1994) ;
• un adulte près de la péninsule de Porkkala, Kirkkonummi, dans le sud de la Finlande le 9 novembre 2021 (BirdLife Suomi, 9.11.2021) ;
• un adulte dans le delta du fleuve Odiel, province de Huelva, sur la côte atlantique de l’Andalousie du 24 mai au 4 juillet 2023 (Rare Birds in Spain Blog, 26 mai 2023) ;
• un adulte près du village de Kópasker, au nord-est de l’Islande du 13 au 18 juin 2025 (Birding Iceland, 13 juin 2025).

Guillemot à long bec, Corée du Sud, janvier 2025 (© Woochan Kwon)

— Guillemot à long bec Brachyramphus perdix (Long-billed Murrelet)
Niche sur les côtes de la mer d’Okhotsk (jusqu’à 60 km dans les terres), de l’Extrême-Orient russe et de Sakhaline au sud jusqu’au nord-est de la péninsule du Kamtchatka (mais il est surtout abondant sur la côte orientale du Kamtchatka et la côte nord de la mer d’Okhotsk) ; hiverne principalement au large d’Hokkaido, au Japon, et jusqu’à Sakhaline au nord (Mlodinow et al. 2023). Quatre données européennes connues – Suisse (1997), Grande-Bretagne (2006), Roumanie (2006), France (2024).
 
• Entre le 15 et le 18 décembre 1997, Urs Baumler, un pêcheur suisse a trouvé un oiseau de la taille d’un Grèbe castagneux noyé dans ses filets à Zollikon, sur le lac de Zurich (47°20’N, 8°34’E). N’ayant pu l’identifier, il le conserva dans un congélateur pendant quelques jours avant de le confier à un ami ornithologue. Au printemps 1998, ce dernier fit naturaliser l’oiseau et l’exposa dans sa collection privée. Et en septembre 1998, Jürg Kägi découvrit par hasard le spécimen empaillé, qu’il prit pour un Guillemot à miroir juvénile. Il fit quelques photos et les envoya à Raffael Winkler, du Musée d’histoire naturelle de Bâle, qui informa la Commission de l’avifaune suisse. L’oiseau fut alors correctement identifié par Lionel Maumary comme étant un Guillemot marbré de la sous-espèce asiatique perdix (Maumary & Knaus 2000a, 2000b). Le spécimen est désormais exposé au Musée d’histoire naturelle de Bâle. Il s’agit de la première mention ouest-paléarctique de ce taxon, considéré comme une espèce à part entière – le Guillemot à long bec – au moins jusqu’en 1931 (American Ornithologists’ Union 1931), puis traité comme une sous-espèce du Guillemot marbré (Peters 1934), avant d’être de nouveau élevé au rang d’espèce en 1998 (Collinson 2006, Sangster et al. 2007) ; des analyses génétiques suggèrent d’ailleurs que le Guillemot marbré est plus proche du Guillemot de Kittlitz que du Guillemot à long bec (Zink et al. 1995, Friesen et al. 1996).
 
• Le 7 novembre 2006, un nouvel individu a été repéré à Dawlish Warren, dans le Devon, Grande-Bretagne. D’abord pris pour un Mergule nain, il finit par être identifié grâce à des photos postées sur Internet. Il sera revu près de Dawlish le 11 novembre et y restera jusqu’au 14. (Rylands 2008).
 
• Un mois et demi après l’oiseau du Devon, le 21 décembre 2006, Jozsef Szabo a trouvé et identifié un Guillemot à bec long sur le réservoir d’Avrig, sur la rivière Olt, près de Porumbacu de Jos, dans le centre de la Roumanie (Milvus Group, 21 décembre 2006).
 
• La quatrième mention européenne de l’espèce concerne un individu observé par Sébastien Mauvieux et Philippe J. Dubois le 28 septembre 2024, lors d’une séance de seawatching au phare de Brignogan (Finistère). L’oiseau a été vu aussi bien en vol que posé sur l’eau. Bien que l’observation ait été brève, donc qu’aucune photo n’ait hélas pu être prise, la description et le dessin de l’oiseau semblent bien correspondre à cette espèce.

Guillemot à long bec, Zurich, décembre 1997 (© Peter Knaus)
Guillemot à long bec, Devon, novembre 2006 (© Gavin Thomas)
Guillemot à long bec, Brignogan, septembre 2024 (© Philippe J. Dubois)

— Guillemot de Kittlitz Brachyramphus brevirostris (Kittlitz’s Murrelet)
Niche dans le détroit de Béring, jusqu’à l’île Wrangel au nord, aux Aléoutiennes au sud, aux côtes nord de la mer d’Okhotsk à l’ouest et au golfe d’Alaska à l’est ; zone d’hivernage mal connue, mais située à proximité des zones de nidification (Day et al. 2020). La seule citation européenne de l’espèce – France (2024) – a fait l’objet d’un article détaillé en janvier dernier (Blat 2025).

• Le 8 octobre 2024, lors d’une séance de seawatching à la pointe du Vivier, au bout de la presqu’île de Quiberon, dans le Morbihan, Yves Blat a observé et photographié un très petit alcidé à la silhouette trapue. Ayant saisi sa donnée en « alcidé indéterminé » sur Faune France afin de recueillir l’avis d’autres ornithologues, l’identité spécifique de l’oiseau est suggérée par Arnaud Le Nevé : Guillemot de Kittlitz. Deux experts nord-américains confirmeront cette identification avant de se rétracter et d’évoquer un possible Mergule nain au plumage aberrant, une hypothèse bien peu convaincante au regard de la sihouette de l’oiseau… (Blat 2025). Même si cette donnée ne peut être confirmée, elle reste extrêmement sérieuse.

Guillemot de Kittlitz, Alaska, mai 2013 (© Greg Bodker)

— Macareux huppé Fratercula cirrhata (Tufted Puffin)
Niche du nord du Japon aux rivages de la mer d’Okhotsk, du Kamtchatka et de la mer de Béring, au nord jusqu’en mer des Tchouktches, et des Aléoutiennes au golfe d’Alaska et aux côtes de Californie ; hiverne dans une vaste zone au sud des Aléoutiennes, de la mer du Japon à la Californie (Piatt & Kitaysky 2020a). Il existe sept données européennes de ce macareux du Pacifique – Suède (1994), Svalbard (1997), Grande-Bretagne (2009, 2016), Svalbard (2019, 2020), Féroé (2020).
 
• La première mention ouest-paléarctique du Macareux huppé concerne un adulte observé le 1er et le 8 juin 1994 en Suède en baie de Laholm, à Lagaoset, Halland, dans le détroit de Cattégat entre Suède et Danemark (Haraldsson 1995).
 
• Dans un rapport de croisière scientifique du navire de recherche RV Polarstern, il est indiqué qu’un Macareux huppé a été vu le 7 août 1997 sur la côte ouest du Spitzberg, dans l’archipel norvégien du Svalbard. Le Dr Hinrich Bäsemann et un groupe de scientifiques réunis sur le pont avaient observé l’oiseau alors qu’il survolait le navire. Bäsemann n’a jamais douté qu’il s’agissait de cette espèce, mais malheureusement, aucun appareil photo n’était accessible et l’observation n’a pas pu être documentée par une photo (Ivarrud 2020).
 
• Le 16 septembre 2009, un adulte en plumage nuptial quasi complet s’est posé une vingtaine de minutes dans le Swale, une bande de mer séparant le nord du Kent de l’île de Sheppey. Puis il s’envola et repartit vers l’ouest en longeant la rive sud, avant de disparaître derrière le coude de la Swale, en direction d’Uplees Copse (Golley 2009, Wright 2011). Le point d’observation se trouve à 50 km à l’est de Londres, Grande-Bretagne, et à moins de 70 km du cap Gris-Nez…
 
• Un individu a été photographié le 20 mai 2016 en mer au large de Land’s End, dans les Cornouailles, extrême pointe sud-ouest de la Grande-Bretagne, mais cette donnée n’ayant jamais été soumise au Comité d’homologation britannique (BBRC), elle n’apparaît donc sur aucune liste officielle (Elliot 2016). Des photos (très lointaines) de l’oiseau sont visibles ici.
 
• Le 14 juillet 2019, un Macareux huppé adulte a été photographié posé sur l’eau et en vol autour de Kapp Kjellstrøm, une pointe au nord de l’île aux Ours (Bjørnøya), la partie la plus méridionale du Svalbard, Norvège (Facebook Tarsiger, 14 juillet 2019).
 

Macareux huppé, Svalbard, juillet 2019 (© Venke Ivarrud)

• Le 17 janvier 2020, un habitant des îles Féroé, chassait au large de Slættanes à Vestmannasund, un détroit qui sépare les îles de Streymoy et Vágar, lorsqu’il tira ce qu’il pensait être un Guillemot de Troïl. Mais en récupérant le cadavre, il s’est rendu compte qu’il ne s’agissait pas de cette espèce… De retour chez lui, il prit quelques photos de l’oiseau mystérieux, qu’il décrivit comme étant « entièrement sombre comme un cormoran mais avec une tête et un bec de macareux ». Ce n’est que le 26 janvier que l’espèce sera identifiée par Anthony Oates : l’alcidé mystérieux était bien un macareux, mais un Macareux huppé ! La dépouille de l’oiseau a par la suite été confiée au Musée d’histoire naturelle des îles Féroé (BirdGuides, 31/01/2020).
 
• Le 28 mai 2020, alors qu’il rentrait à la station météo de l’île aux Ours, dans le sud du Svalbard, en mer de Barents, Venke Ivarrud aperçut un oiseau massif au plumage sombre et à la tête blanche, très différent des autres alcidés qui volaient dans le secteur. Celui-ci s’est posé sur une corniche à flanc de montagne, où l’observateur put le détailler et commença à suspecter qu’il s’agissait d’un Macareux huppé. L’oiseau s’envola alors et se dirigea dans sa direction, ce qui lui permit de prendre plusieurs clichés exceptionnels (Ivarrud 2020). Il semble probable qu’il s’agisse du même oiseau que celui ayant été vu en juillet 2019 dans le même secteur.

On peut ajouter à ces mentions européennes quatre données de Macareux huppé obtenues dans la partie néarctique de l’Atlantique Nord. La première concerne l’individu ayant servi de modèle à Audubon (1835) pour dessiner la planche 249 de son livre sur les oiseaux d’Amérique, qui provient de l’embouchure de la rivière Kennebec, dans le comté de Sagadahoc (état du Maine, États-Unis), où il a été « abattu par un pêcheur armé d’un fusil, l’oiseau étant posé sur un morceau de glace flottante, pendant l’hiver 1831-1832 » ; Palmer (1949) a pu voir le spécimen en question, qui est conservé au Vassar College de Poughkeepsie, dans l’État de New York : il s’agit bien d’un adulte en plumage nuptial et la mention « type d’Audubon » figure sur son socle en bois. Viennent ensuite trois mentions du Groenland : 1°) un « Alca cirrhata » y aurait été collecté en 1846 et la peau envoyée à Möschler (1856), mais on ignore où celle-ci se trouve aujourd’hui ; 2°) un individu filmé en vol par Henrik Knudsen à l’ouest de la baie de Disko, près de la frontière Canada-Groenland le 19 août 2009 (un mois avant l’oiseau du Kent…), dont une photo extraite de la vidéo a été postée sur le site danois netfugl.dk ; 3°) un individu a été vu en 2019 à Dalrymple Rock, dans le nord-ouest du Groenland, parmi des Macareux moines à proximité d’une colonie de cette espèce (Burnham et al. 2020).
 
Par ailleurs, Konyukhov (2002) mentionne la présence de l’espèce en Nouvelle-Zemble, une information qui lui a été donnée oralement, donc malheureusement non documenté par une description ou une photo. Toutefois, si cette donnée était avérée, cela suggérerait que certains oiseaux pourraient aussi transiter du Pacifique Nord vers l’Atlantique Nord par le passage du Nord-Est. 

Macareux huppé, Maine, hiver 1831-1832 (© J.-J. Audubon)
Macareux huppé, Kent, septembre 2009 (© Murray Wright)

— Macareux cornu Fratercula corniculata (Horned Puffin)
Niche sur les côtes et les îles de la mer d’Okhotsk, dans les îles Kouriles, de la mer de Béring à la mer des Tchouktches jusqu’à l’île Wrangel et aux limites de la mer de Beaufort, ainsi que des Aléoutiennes au golfe d’Alaska et aux côtes de Colombie-Britannique ; hiverne dans une grande partie du Pacifique Nord, généralement au-dessus des eaux océaniques profondes, de Sakhaline au large de la Californie (Piatt & Kitaysky 2020b). Il existe une seule mention de cette espèce en Europe – Norvège (2009).
 
• Le 12 août 2009, au large d’Hornøya, une île célèbre pour ses colonies d’oiseaux marins, située près de Vardø, à l’extrémité orientale de la péninsule norvégienne de Varanger, un groupe d’ornithologues a observé un macareux au plumage étrange, qui fut considéré comme un Macareux moine au plumage aberrant ou immature. Plus de 12 ans après cette observation, alors qu’il réorganisait sa collection de photos de ce voyage en Norvège arctique, Erwin Van de Put, un ornithologue belge, remarqua cet alcidé inhabituel qu’il identifia alors comme étant un Macareux cornu adulte en plumage nuptial ! Il en informa aussitôt BirdLife Norway qui annonça, le 18 janvier 2022, la première mention ouest-paléarctique de l’espèce (Jones 2022).
 
En dehors de l’Europe, un Macareux cornu a également été vu régulièrement dans une colonie de Macareux moine à Dalrymple Rock, dans le nord-ouest du Groenland, durant les mois d’été de 2002 à 2006, puis de 2013 à 2019. L’absence de contact entre 2007 et 2012 pourrait s’expliquer par la brièveté des visites à la colonie de Dalrymple Rock, au cours desquelles un Macareux cornu aurait pu passer inaperçu. L’oiseau vu de 2013 à 2019 pourrait donc être le même que celui de la période 2002-2006 ; aucun indice d’une éventuelle nidification n’a été noté (Burnham et al. 2020).

Macareux cornu, Norvège, août 2009 (© Erwin Van de Put)

Hypothèses sur les routes suivies par les alcidés du Pacifique
En théorie, il existe trois routes pour passer du Pacifique Nord à l’Atlantique Nord et à l’Europe : une voie marine via l’océan Arctique et deux voies terrestres, l’une traversant le continent nord-américain, l’autre l’Eurasie. S’agissant d’oiseaux marins nichant sur les côtes ou sur des îles, et se nourrissant en haute mer, la première semble la plus probable. 
 
Du Pacifique Nord jusqu’aux eaux européennes, les routes maritimes longeant les côtes arctiques de l’Amérique du Nord (passage du Nord-Ouest) et celles de la Sibérie (passage du Nord-Est) sont les plus directes et les plus courtes. Or ces dernières années, ces passages ont été en grande partie libres de glace à la fin de l’été. En 2009, année d’observation d’un Macareux cornu mi-août en Norvège, d’un Macareux huppé fin août au Groenland et d’un autre mi-septembre en Grande-Bretagne, la banquise arctique avait atteint son étendue minimale le 12 septembre, ouvrant les passages du Nord-Ouest et du Nord-Est (Wright 2011). Avec des eaux non gelées, un oiseau marin en dispersion ou en migration peut donc se reposer et se nourrir dans l’océan Arctique et atteindre plus facilement l’Europe. Les observations de Macareux huppés faites aussi bien à l’ouest du Groenland qu’en Nouvelle-Zemble (au nord de la Sibérie) démontrent qu’un transit par ces deux routes est possible. Le passage par ces routes concerne également le Macareux cornu et les Stariques cristatelle et perroquet (et peut-être d’autres espèces non encore observées en Europe…). La carte de répartition des données européennes (Svalbard, Islande, îles Britanniques…) semble valider une arrivée des oiseaux par le passage du Nord-Est, celles de l’ouest du Groenland par le passage du Nord-Ouest. Flood et al. (2021) évoquent l’utilisation de cette route par le Puffin à bec grêle Ardenna tenuirostris pour expliquer les observations de cette espèce du Pacifique dans l’Atlantique Nord.
 
Les voies empruntées par le Guillemot à cou blanc pour atteindre les eaux européennes semblent radicalement différentes de celles des macareux et des stariques. En effet, contrairement à ces espèces, ce guillemot n’est pas présent dans la mer de Beaufort ni même dans le nord de la mer de Béring ; il est donc peu susceptible de s’égarer en Europe par une route arctique (Waldon 1994). En revanche, le Guillemot à cou blanc est observé presque chaque année loin dans les terres en Amérique du Nord, au sud jusque dans le Nevada et au Nouveau-Mexique et à l’est jusqu’au Québec et en Pennsylvanie, principalement à la fin du mois d’octobre et en novembre (quelques données de mars à mai) ; ces apparitions continentales sont pour la plupart associées à des tempêtes automnales qui se déplacent vers l’intérieur des terres depuis le golfe d’Alaska, les observations les plus orientales étant corrélées aux tempêtes les plus septentrionales (Munyer 1965, Verbeek 1966). Après avoir traversé le continent nord-américain d’ouest en est, des individus pourraient donc se retrouver dans l’Atlantique et migrer ensuite vers l’est et le nord jusqu’en Islande, dans les îles Britanniques et en Finlande, à des latitudes équivalentes à celles des zones de nidification de l’espèce en Colombie-Britannique (Waldon 1994).
 
Comme le Guillemot à cou blanc, le Guillemot à bec long fait de fréquentes apparitions dans les terres, en toutes saisons (Witt et al. 2010) – en 2003, on dénombrait plus de 50 données dans les zones intérieures des États-Unis et du Canada (Thompson et al. 2003), au sud jusqu’à la Floride et à l’est jusqu’au Québec, à Terre-Neuve et dans le Massachusetts (Mlodinow 1997). L’espèce continue d’être observée régulièrement en Amérique du Nord, par exemple dans le Minnesota (Svingen 2009) et le New Jersey (Barnes 2009). Ces données à l’intérieur des terres semblent corrélées aux tempêtes enregistrées deux ou trois jours plus tôt entre le Japon et la péninsule du Kamtchatka (Mlodinow et al. 2023). Comme le Guillemot à cou blanc, des Guillemots à long bec pourraient donc atteindre l’Atlantique après avoir traversé l’Amérique du Nord d’ouest en est et poursuivre leur voyage jusqu’en Europe. Il est toutefois envisageable que les individus vus en Europe aient une autre origine. En effet deux des trois Guillemot à long bec observés dans le Paléarctique occidental ont été découverts au cœur du continent européen – Roumanie et Suisse –, suggérant qu’ils auraient traversé la Russie continentale ; une autre hypothèse impliquerait la traversée de l’océan Arctique le long de la côte nord de la Russie (passage du Nord-Est). Dans tous les cas, ces deux options sont beaucoup plus courtes que la route continentale passant par l’Amérique du Nord avant de poursuivre via l’Atlantique Nord (Maumary & Knaus 2000a, Hopkins et al. 2006).

Vers une augmentation des données d’alcidés du Pacifique en Europe ?
C’est dans l’Arctique que le réchauffement climatique est le plus rapide, avec une augmentation de la température plus de deux fois supérieure à la moyenne mondiale, ce qui a des répercussions importantes sur la banquise (IPCC 2014). La fonte rapide de celle-ci autour du pôle Nord ouvre des routes reliant l’Atlantique au Pacifique pendant des périodes plus longues chaque année, ce qui facilite, voire accélère, les déplacements des oiseaux et des mammifères marins entre ces deux océans ; les observations suggèrent que ces mouvements se sont déjà intensifiés au cours des dernières décennies (Mc Keon et al. 2016). 
En mars 2025, les scientifiques du National Snow and Ice Data Center (NSIDC) ont ainsi évalué la superficie de la banquise arctique à 14,33 millions de km2, soit la plus petite étendue mesurée en plus de quatre décennies de surveillance satellitaire. Le précédent record avait été établi à 14,41 millions de km2 en 2017.
 
De plus, les modèles climatiques prévoient que la partie centrale du bassin arctique, où certaines zones sont recouvertes par la banquise depuis au moins 5500 ans, devrait être complètement libre de glace chaque été avant le milieu du XXIe siècle (Wang & Overland 2012). Dès lors, la disparition de cette barrière naturelle entre le Pacifique et l’Atlantique pourrait modifier fortement la migration des oiseaux marins : une trentaine d’espèces nichant dans l’Arctique et hivernant actuellement dans l’Atlantique Nord pourraient ainsi migrer jusqu’au Pacifique Nord au lieu de l’Atlantique et 24 autres pourraient devenir sédentaires dans le Haut-Arctique (Clairbaux et al. 2019). L’étude, conduite sur le Mergule nain, l’alcidé arctique le plus abondant, a en effet démontré qu’une migration transarctique, de l’Atlantique Nord vers le Pacifique Nord, pourrait être deux fois moins coûteuse en énergie pour l’espèce que la sédentarité dans le Haut-Arctique ou la migration vers l’Atlantique Nord (Clairbaux et al. 2019).

Ce recul estival de la banquise dans l’océan Arctique favorise également l’arrivée d’espèces du Pacifique dans l’Atlantique Nord (Jones 2022) ; c’est déjà le cas du Plongeon du Pacifique Gavia pacifica, qui est devenu assez régulier en Europe, tandis que l’on constate une augmentation du nombre d’observations de certains laridés du Pacifique Nord, comme le Goéland à ailes grises Larus glaucescens et le Goéland à manteau ardoisé Larus schistisagus, et que le Puffin à bec grêle Ardenna tenuirostris, un puffin du Pacifique, a déjà atteint plusieurs fois l’Atlantique Nord (Flood et al. 2021) et deux fois les eaux françaises (Février et al. 2022).
 
L’accroissement du nombre de données européennes d’espèces du Pacifique s’observe donc aussi chez les alcidés du Pacifique, avec une seule mention au XIXe siècle, 6 au XXe siècle et déjà 13 dans le premier quart du XXIe siècle, pour lequel l’augmentation est également sensible à l’échelle des décennies – 4 observations dans la première décennie (2000-2009), 2 dans la deuxième (2010-2019) et déjà 7 pour la première moitié de la troisième (2020-2029) ! Il est vraisemblable que le passage du Nord-Est, qui longe les côtes du nord de la Sibérie, bénéficie également de la fonte des glaces arctiques et soit également utilisé par des espèces du Pacifique Nord pour gagner l’Atlantique Nord via la mer de Barents. C’est peut-être la route qu’avait emprunté l’Eider à lunettes trouvé en janvier 2025 aux Pays-Bas.

Starique cristatelle, Kamtchatka, juillet 2017 (© Michael Stubblefield)
Starique perroquet, Kamtchatka, juin 2017 (© Jeff Bleam)

Références : • American Ornithologists’ Union (1931). Check-list of North American Birds. 4th edition. American Ornithologists’ Union, Lancaster. • Audubon J.-J. (1835). The Birds of AmericaVol. 3. Robert Havell Sr. & Robert Havell Jr., London. • Barnes S. (2009). New Jersey’s first record of Long-billed Murrelet. New Jersey Birds 35 : 2-4. • Blat Y. (2025). Un Guillemot de Kittlitz en Bretagne ? Post-Ornithos(marcduquet.com) 2 : e2025.01.12. • Boertmann D. (1994). An annotated checklist to the birds of Greenland. Meddelelser om Grønland, Bioscience 38 : 1-63. • Burnham K.K., Burnham J.L., Johnson J.A., Konkel B.W., Stephens J. & Badgett H. (2020). First record of Horned Puffin in the North Atlantic and Tufted Puffin in High Arctic Greenland. Polar Research 39 : 4458. • Clairbaux M., Fort J., Mathewson P., Porter W., Strøm H. & Grémillet D. (2019). Climate change could overturn bird migration : transarctic flights and high-latitude residency in a sea ice free Arctic. Scientific Reports 9 : 17767. • Collinson M. (2006). Splitting headaches ? Recent taxonomic changes affecting the British and Western Palearctic lists. British Birds 99(6) : 306-323. • Dalgleish J.J. (1880). List of occurrences of North American birds in Europe. Bulletin of the Nuttall Ornithological Club 5 : 210-221. • Day R.H., Kissling M L., Kuletz K.J., Nigro D.A. & Pyle P. (2020). Kittlitz’s Murrelet (Brachyramphus brevirostris). In Rodewald P.G. (ed.), Birds of the World. Cornell Lab of Ornithology, Ithaca. • Duquet M. (2025). Un Guillemot à cou blanc en Islande ! Post-Ornithos (marcduquet.com) 2 : e2025.25.24. • Elliot M. (2016). Rarity finders: Tufted Puffin at sea off Land’s End, Cornwall. BirdGuides, 13/06/2016. • Février Y., Reyt S. & Roques S. (2022). Premières mentions françaises du Puffin à bec grêle Ardenna tenuirostris en 2015 et 2020 en Bretagne. Ornithos 29-5 : 328-333. • Flood R.L., Richards J.M., Gaston A.J. & Zufelt K. (2021). ‘Canadian Arctic flyway’ – possible route for Short-tailed Shearwater to access North Atlantic ? Dutch Birding 43 : 198-202. • Friesen V.L., Piatt J.F. & Baker A.J. (1996). Evidence from cytochrome b sequences and allozymes for a ‘new’ species of alcid: the Long-billed Murrelet (Brachyramphus perdix). The Condor 98(3) : 681-690. • Gaston A.J. & Shoji A. (2010). Ancient Murrelet (Synthliboramphus antiquus). In Poole A.F. (ed.) Birds of the World. Cornell Lab of Ornithology, Ithaca. • Golley M. (2009). How to join The Tufty Club. BirdGuides, 17/09/2009. • Haraldsson M. (1995). Tofslunnefågel Lagans mynning 1 & 8 juni 1994. SOF. Fågelåret 1994 : 152-153. • Hørring R. (1933). Aethia cristatella (Pallas) skudt ved Island [Crested Auklet shot in Iceland]. Dansk Ornithologisk Forenings Tidsskrift27 : 103-105. • IPCC (2014). Climate Change 2014 : Synthesis Report. Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change [Core Writing Team, R.K. Pachauri & L.A. Meyer (eds.)].IPCC, Genève. • Ivarrud V.(2020). Face to face with a Tufted Puffin in Norway. BirdGuides, 12/06/2020. • Jones I.L. (2020). Crested Auklet (Aethia cristatella). In Poole A.F. & Gill F.B. (eds), Birds of the World. Cornell Lab of Ornithology, Ithaca. • Jones I.L., Konyukhov N.B., Williams J.C. & Byrd G.V. (2020). Parakeet Auklet (Aethia psittacula). InPoole A.F. & Gill F.B. (eds), Birds of the World. Cornell Lab of Ornithology, Ithaca. • Jones J. (2022). Western Palearctic’s first Horned Puffin identified in Norway. BirdGuides, 18/01/2022. • Konyukhov N.B. (2002). Possible Ways of Spreading and Evolution of Alcids. Biology Bulletin 29 : 447-454. • Maumary L. & Knaus P.(2000a). Marbled Murrelet in Switzerland : a Pacific Ocean auk new to the Western Palearctic. British Birds 93(4) : 190-199. • Maumary L. & Knaus P. (2000b). Erstnachweis der asiastichen Unterart des Marmelalken Brachyramphus marmoratus perdix in der Schweiz und der Westpalaarktis [First record of the Asian subspecies of the Marbled Murrelet Brachyramphus marmoratus perdix in Switzerland and the Western Palearctic]. Ornithologische Beobachter 97(3) : 243-248. • Mc Keon C .S., Weber M.X., Alter S.E., Seavy N.E., Crandall E.D., Barshis D.J., Fechter-Leggett E.D. & Oleson K.L.L. (2016). Melting barriers to faunal exchange across ocean basins. Global Change Biology 22 : 465-473.  • Milvus Group (2006). Long-billed Murrelet (Brachyramphus perdix) – new species for the Romanian fauna. Milvus Group (milvus.ro), 21 décembre 1006. • Mlodinow S.G. (1997). The Long-billed Murrelet (Brachyramphus perdix) in North America. Birding 29 : 461-473. • Mlodinow S.G., Kirwan G.M. & Pyle P. (2023). Long-billed Murrelet (Brachyramphus perdix). In Keeney B.K. & Sly N.D. (eds), Birds of the World. Cornell Lab of Ornithology, Ithaca. • Möschler H.F. (1856). Notiz zur Ornithologie Grönlands. J. Ornithol. 22 : 335. • Munyer E.A. (1965). Inland wanderings of the Ancient Murrelet. Wilson Bulletin 77(3) : 235-242. • Palmer R.S. (1949). Maine Birds. Bulletin of the Museum of Comparative Zoology at Harvard University 102 : 1-579.  • Peters J.L. (1934). Check-list of Birds of the World. Volume 2. Harvard University Press, Cambridge. • Piatt J.F. & Kitaysky A.S. (2020a). Tufted Puffin (Fratercula cirrhata). In Billerman S.M. (ed), Birds of the World. Cornell Lab of Ornithology, Ithaca. • Piatt J.F. & Kitaysky A.S. (2020b). Horned Puffin (Fratercula corniculata). In Billerman S.M. (ed), Birds of the World. Cornell Lab of Ornithology, Ithaca. • Rylands K. (2008). Long-billed Murrelet in Devon : new to Britain. British Birds 101(3) : 131-136. • Sangster G., Collinson J.M., Knox A.G., Parkin D.T. & Svensson L.(2007). Taxonomic recommendations for British birds: fourth report. Ibis 149(4) : 853-857. • Sealy S.G. & Carter H.R. (2012). Rare inter-ocean vagrancy in Crested Auklet and Parakeet Auklet. Waterbirds 35(1) : 64-73. • Svingen P.H. (2009). First Minnesota record of the Long-billed Murrelet (Brachyramphus perdix). Loon 81 : 55-60. • Thompson C.W., Pullen K.J., Johnson R.E. & Cummins E.B. (2003). Specimen Record of a Long-billed Murrelet from Eastern Washington, with Notes on Plumage and Morphometric Differences Between Long-billed and Marbled Murrelets. Western Birds 34(3) : 4. • Verbeek N.A.M. (1966). Wanderings of the Ancient Murrelet : some additional comments. Condor 68(5) : 510-511. • Wahlgren F. (1867). Phaleris psittacula. Svenska Jägarförbundets nya Tidsskrift 5 : 108-111. • Waldon J. (1994). Ancient Murrelet in Devon: new to the Western Palearctic. British Birds 87(7) : 307-310. • Wang M. & Overland J.E. (2012). A sea ice free summer Arctic within 30 years : An update from CMIP5 models. Geophys. Res. Lett. 39 : 1-6. • Witt C.C., Graus M.S. & Walker H.A. (2010). Molecular data confirm the first record of the Long-Billed Murrelet for New Mexico. Western Birds 41 : 160-167. • Wright M. (2011). Tufted Puffin in Kent : new to Britain. British Birds104(5) : 261-265. • Zink R.M., Rohwer S., Andreev A.V. & Dittman D.L. (1995). Trans-Beringia comparisons of mitochondrial DNA differentiation in birds. The Condor 97(3) : 639-649. 

Un grand merci à Philippe J. Dubois pour sa relecture attentive et pour les compléments précieux qu’il a apportés à cet article. Et merci à Nadine pour son œil infaillible qui ne laisse passer aucune « coquille ».

Citation recommandée : Duquet M. (2025). Les alcidés du Pacifique vus dans l’Atlantique. Post-Ornithos (marcduquet.com) 2 : e2025.07.09.

POUR TÉLÉCHARGER, CLIQUEZ ICI